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L’azote est un des constituants majeurs des plantes. Il joue donc un rôle très important dans leur physiologie par l’intermédiaire des molécules dont il est l’un des composants : acides aminés, acides nucléiques, chlorophylle, hormones de croissance.
Ses effets sur la vigne sont donc particulièrement marqués. Ainsi des excès peuvent provoquer :
– une augmentation de la vigueur, augmentation de la croissance,
– une augmentation du rendement,
– une diminution de la qualité des raisins et des vins (retard de maturité, effet sur les composés phénoliques et les arômes),
– un défaut d’aoûtement des bois, diminution des réserves.

Ces effets sont la conséquence du rôle de l’azote sur l’équilibre hormonal de la vigne. En cas d’abondance, ce dernier va favoriser l’édification du végétal en mobilisant les sucres issus de la photosynthèse comme source d’énergie, au détriment de l’accumulation dans les baies et les parties pérennes (vieux bois, tronc, racines).

L’excès d’azote provoque également :
– une augmentation de la sensibilité aux maladies cryptogamiques (Botrytis principalement) : microclimat des grappes plus favorable à leur développement, retard de maturité, organes riches en azote.
– une augmentation de la teneur en azote des moûts, avec une répercussion sur la fermentescibilité des jus, sur la teneur en amines biogènes et sur les précurseurs du carbamate d’éthyle.

A l’inverse, un défaut d’azote peut provoquer une diminution de la vigueur et du rendement, ainsi qu’une diminution de la fermentescibilité des moûts et l’apparition du goût de vieillissement. Sur certains cépages blancs (Sauvignon, Colombard), il provoque une baisse de certains composés aromatiques thiolés. Du fait de son rôle majeur dans le fonctionnement de la vigne et de ses effets importants sur la qualité des raisins (c’est l’élément minéral dont les effets sont les plus rapides et les plus notables sur la vigne), la gestion de l’azote revêt un aspect capital dans la maîtrise quantitative et qualitative des raisins.

Grands principes de la fertilisation azotée

Principes généraux de la fertilisation
La fertilisation azotée doit être intégrée au raisonnement global de la fertilisation de la vigne.
Par le passé, le sol a souvent été considéré comme un support neutre où les éléments minéraux étaient apportés de façon à satisfaire les besoins de la plante. Or le sol n’est pas uniquement un support de culture. C’est un milieu vivant (micro-organismes – champignons, bactéries -, macrofaune…) qui, par son activité, est capable de fournir les éléments minéraux nécessaires aux besoins des plantes, mais qui joue également un rôle dans la constitution du sol (notion de durabilité). On peut alors parler de fertilité du sol (définie par les composantes physique, chimique et biologique du sol).

La fertilisation doit s’attacher en priorité à assurer le bon fonctionnement du sol, gage d’une nutrition correcte de la vigne. Pour ce faire, les états basique et organique du sol sont primordiaux à prendre en compte. Le premier joue en effet un rôle important dans la fourniture des éléments et leur assimilation par la vigne, et dans la structure du sol. Le deuxième, en plus de ses autres rôles, en particulier sur la structure du sol, présente un intérêt très important dans la régulation de l’alimentation de la plante, par l’intermédiaire de son action sur la minéralisation et sur la CEC notamment. Il convient donc de veiller à bien les entretenir par l’apport éventuel d’amendement basique et/ou organique.
D’autre part, dans le contexte actuel de l’agriculture, en particulier l’impact qu’elle peut avoir sur l’environnement, et dans le cadre d’une viticulture raisonnée, aucun apport de fertilisant ne doit être réalisé sans justification (observation et analyses).

Besoins de la vigne en azote

Les fourchettes suivantes peuvent être données : 30 à 60 kg N/ha pour des productions de 6 à 10 t/ha et 60 à 90 kg N/ha pour des productions de 10 à 25 t/ha.
Epoques d’absorption de l’azote par la vigne (figure 1)
Une première phase se déroule pendant et un peu après la floraison. L’azote absorbé sert alors en priorité à l’édification du végétal. Une seconde phase a lieu pendant la véraison, où l’azote absorbé va principalement enrichir les baies. Enfin, une troisième phase intervient après vendanges si les conditions climatiques le permettent. L’azote absorbé est alors mis en réserves dans les parties pérennes de la vigne.

Figure 1 : Représentation schématique de l’absorption de l’azote par la vigne au cours du cycle annuel

Raisonnement de la fertilisation azotée de la vigne

L’azote ayant un effet important sur la plante du point de vue qualitatif, il convient de trouver le juste équilibre entre développement optimal de la vigne et qualité des raisins. Ceci est rendu d’autant plus délicat que :
– le bilan est difficile à déterminer,
– il n’existe pas d’indicateur réellement fiable permettant de préconiser une dose d’apport.

Concernant le premier point, de nombreux postes sont en effet difficiles à estimer soit par manque d’information, soit car variant sous l’influence de nombreux facteurs. C’est le cas, en particulier, des “apports” dus à la minéralisation (fonction du type de sol et du climat) ou à la restitution des feuilles et sarments (fonction de la vigueur de la vigne), des exportations liées à l’absorption de la vigne (fonction de la vigueur de la vigne), à la réorganisation par les microorganismes (fonction du type de sol et du climat) et au lessivage (fonction du type de sol et du climat).
Concernant le deuxième point, de nombreux indicateurs sont disponibles.

Indicateurs disponibles : 

– Analyse de sol : en fonction du type de sol (texture, taux de matière organique, pH) et de la climatologie, une estimation du coefficient de minéralisation du sol (k2) peut être faite ainsi qu’une approche de l’azote disponible.
– Analyse foliaire : l‘organe le plus représentatif de la nutrition azotée est le limbe. Toutefois, les essais montrent que les teneurs en azote des limbes peuvent varier de façon importante d’une année sur l’autre, rendant difficile l’établissement de seuils.
– Outils optiques : ces appareils, qui mesurent de façon optique la quantité de chlorophylle des feuilles, donnent des résultats mitigés suivant les régions et qui peuvent varier en fonction de nombreux facteurs jouant sur la coloration des feuilles (carences, viroses, sécheresse, grillures, dépôts de produits phytosanitaires). Ils nécessitent donc, comme l’analyse foliaire, des référentiels annuels.
– Analyse du moût : les analyses d’azote ammoniacal, d’azote assimilable ou d’azote total (ces trois formes sont bien corrélées entre elles) donnent une bonne idée de la fermentescibilité des moûts. Toutefois la relation entre ces teneurs et la nutrition azotée de la vigne n’est pas toujours établie, les conditions du millésime pouvant jouer de façon importante sur le niveau d’azote des moûts (rendement, maturité, pluviométrie). Ces analyses ne présagent donc en rien de l’optimum au niveau de la vigne.
– Observation : c’est actuellement l’outil de plus utile pour déterminer la nutrition azotée de la vigne, par l’intermédiaire de l’évaluation de la vigueur. Toutefois cette dernière est visuelle et donc subjective. Il est donc nécessaire de réaliser des mesures pour en avoir une idée objective : vitesse de croissance des rameaux, diamètre du sarment ou poids moyen du sarment. Ceci est souvent délicat à réaliser en pratique.
Tous ces indicateurs se suffisent rarement à eux seuls. Même s’ils peuvent donner une idée correcte du niveau de nutrition azotée de la vigne, le passage au conseil, c’est-à-dire la recommandation d’une dose d’azote, est délicat.

Eléments à prendre en compte

La gestion de la fertilisation azotée doit également se raisonner à partir des éléments suivants :

– entretien du sol : enherbement, travail du sol,
– sol : analyse de sol (et climat) pour le k2. Profondeur exploitée par les racines (qui donne une idée du volume de sol exploré pour la vigne),
– sensibilité à la pourriture grise : éviter les apports d’azote dans les parcelles sensibles,
– apports d’amendements organiques : les amendements organiques contiennent plus ou moins d’azote. Il convient d’en tenir compte dans son raisonnement. Par exemple, un fumier de bovins contient en moyenne 5 kg d’azote par tonne de produit brut. A la dose de 30 tonnes par hectare, il apporte donc 150 unités à l’hectare. Même si cet azote est libéré progressivement, l’apport est loin d’être négligeable.

Développement d’un outil d’aide à la décision : N-Pérennes

 Le projet CASDAR N-Pérennes (2013-2016), né du RMT Fertilisation et Environnement, a permis la mise au point d’un prototype d’outil de gestion de la fertilisation azotée pour les plantes pérennes, en se basant sur un outil déjà existant et innovant, utilisé sur les grandes cultures : AzoFert®.

Principe 

N-Pérennes est basé sur un bilan d’azote minéral complet, constitué de 19 postes comptabilisant l’ensemble des entrées et sorties d’azote. N-Pérennes calcule la dose totale d’azote à apporter en fonction du rendement visé. La conception informatique permet au logiciel de s’adapter à divers contextes pédoclimatiques et de systèmes de cultures propres aux utilisateurs.

Résultats

Une interface opérationnelle et conviviale a été développée (figure 2), même si des améliorations restent à faire.

Figure 2 : Exemple de page de l’interface du prototype

Les tests de sensibilité ont permis de mettre en évidence les paramètres ayant le plus d’impact sur les sorties du prototype. Il s’agit du type de sol, en particulier le taux de cailloux qui influe sur la minéralisation de l’humus, ainsi que les données climatiques. Une variation des reliquats azotés à l’ouverture du bilan peut entraîner une variation de la dose d’azote conseillée d’une vingtaine de kg/ha. A l’inverse, d’autres paramètres ont peu d’influence sur la préconisation en vigne, tels que la restitution des sarments et la date de fin de lessivage. Certains paramètres ont été difficiles à prendre en compte, comme par exemple la restitution d’azote au sol par la chute des feuilles ou la notion de vigueur.

La comparaison des préconisations du prototype aux résultats des expérimentations donne des résultats intéressants sur vigne. On constate que les préconisations sont correctes (écarts inférieurs à 10 kg N/ha entre le conseil donné par le prototype et l’apport réellement réalisé) dans 51 % des cas. Le cas où le prototype préconise un apport alors qu’il n’y en a pas besoin n’est pas négligeable (26 %). Le cas inverse où le prototype ne préconise pas d’apport alors qu’un apport est nécessaire dans la situation est plus rare (7 %). Le cas où un apport est nécessaire et que le prototype conseille une dose trop faible ou trop forte est relativement restreint (16 %). Dans les cas où le conseil n’est pas correct, le prototype a généralement tendance à conseiller une dose trop forte.

Le prototype ne préconise souvent aucun apport (42 % des cas) mais la plupart du temps à bon escient (82 % des cas).

Les résultats obtenus avec le prototype N-Pérennes sont encourageants en viticulture comparativement à des préconisations empiriques. Pour que le prototype devienne un outil opérationnel, il restera à réaliser à la fois du travail de programmation et de paramétrage, et une validation sur un plus grand nombre de situations, notamment en conditions réelles d’utilisation de l’outil. D’autres perspectives, élargissant l’objectif du prototype, sont également envisageables : outil de pilotage, utilisation en agriculture biologique par exemple.

En conclusion, il convient d’insister sur l’importance de la gestion des matières organiques et de l’état basique des sols avant toute chose. Le raisonnement de la fertilisation azotée ne vient que dans un deuxième temps.
De nombreux facteurs interviennent dans ce raisonnement : vigueur, sol, climat, entretien du sol… Il est important d’estimer au mieux leur influence car une mauvaise gestion de l’azote conduit immanquablement à une sanction immédiate en terme qualitatif (surtout en cas d’excès) ou quantitatif. Des outils permettant d’aider le viticulteur dans ce sens sont en cours d’élaboration.

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