L’absence de virus dans le matériel de multiplication est essentielle pour la filière viti-vinicole, ces agents pathogènes pouvant être transmis par les boutures lors du greffage. Dans la mesure où aucun traitement curatif n’est possible, seule l’élimination des plants atteints, couplée à la lutte contre les vecteurs est alors possible. La méthode la plus efficace demeure donc de dépister les virus en amont lors des travaux de sélection sanitaire et le cas échéant, de les éliminer par culture de méristème.
Pascal Bloy est directeur du Pôle Matériel Végétal de l’IFV, au Domaine de l’Espiguette au Grau du Roi, dans le Gard. Il rappelle la mission principale de ce Centre de sélection de la vigne, unique en France, dont l’objectif est, depuis sa création, de fournir à la filière vin du matériel végétal exempt de toutes viroses préjudiciables à la vigne.
Comment le Pôle matériel végétal de l’IFV s’est-il spécialisé dans la sélection sanitaire qui garantit un matériel végétal vigne sain et performant pour la filière ?
Pascal Bloy : Il faut rappeler que la sélection sanitaire vigne a commencé ici au Domaine de l’Espiguette avec la création de l’ENTAV (Etablissement National Technique pour l’Amélioration de la Viticulture) au début des années 1960. Cette création du Centre de sélection de la vigne a été motivée par la volonté de fournir à la filière du matériel particulièrement sain et adapté à la viticulture. Le côté sanitaire était primordial à l’époque parce que la virose du court-noué qui sévissait beaucoup dans le vignoble avait des conséquences assez préjudiciables sur les rendements et la qualité des raisins. On en a profité ensuite pour caractériser ce matériel au niveau du potentiel qualitatif. Mais au départ, c’est bien la volonté de faire de la sélection sanitaire qui a primé afin d’éliminer les viroses principales pour la filière de multiplication de la vigne. On peut dire que le Pôle Matériel Végétal de l’IFV est vraiment à l’origine de la sélection sanitaire vigne en France.
Mais vous ne privilégiez pas que la sélection sanitaire qui n’est qu’un aspect de la sélection vigne ?
Pascal Bloy : Il y a les viroses principales (court-noué, enroulement et marbrure). Nous avons l’obligation réglementaire d’éliminer ces viroses. Et il y a aussi des viroses secondaires que l’on peut détecter mais qui, si elles ne sont pas préjudiciables aux rendements et à la qualité du raisin, ne sont pas obligatoirement éliminées pour favoriser la diversité et la qualité agronomique des sélections. Rappelons que la sélection française est avant tout un compromis entre les aspects sanitaires et la qualité agronomique et technologique des sélections.
Aujourd’hui on détecte les viroses par tests Elisa et par tests PCR. Pouvez-vous nous dire pourquoi l’indexage reste une méthode importante au Centre de sélection du Grau du Roi ?
Pascal Bloy : L’indexage est toujours la méthode officielle de détection des virus de la vigne malgré les progrès qui ont été faits par les analyses de laboratoire. L’indexage présente non pas l’intérêt de rechercher un virus en particulier mais de mettre en évidence les symptômes d’une virose. Prenons l’exemple de la virose de l’enroulement. Avec l’indexage, on ne sait pas s’il s’agit de l’enroulement de type 1, 2 ou 3 mais on sait qu’il y a de l’enroulement. Cette méthode de l’indexage nous a permis d’anticiper la découverte de nouveaux virus car on pouvait observer les symptômes de la maladie. Et on a pu éliminer et écarter certaines sélections parce qu’on avait observé les symptômes de la maladie. Cela a donc été un apport conséquent pour la sélection sanitaire. Aujourd’hui on se sert toujours de l’indexage mais en cumulant cette méthode avec les tests Elisa et les tests PCR (lire article) notamment qui apportent plus de précision. Car l’objectif de l’IFV est de cumuler ces trois techniques sans en sacrifier une. D’ailleurs l’Université de Davis, en Californie, qui est très pointue au niveau virologique, continue d’employer les trois méthodes de détection.
Le Centre de sélection du Grau du Roi est d’ailleurs le seul à pratiquer cette méthode en France ?
Pascal Bloy : L’indexage fait appel à la lecture de symptômes (lire article Qu’est-ce que l’indexage). C’est donc une méthode plus complexe qu’un test de laboratoire ou l’on sait tout de suite si c’est positif ou négatif d’un point de vue virologique. La lecture de symptômes nécessite d’avoir des compétences particulières avec du personnel formé à l’identification des symptômes. C’est un des atouts des équipes du Grau du Roi d’avoir cette expérience et c’est vrai que nous sommes les seuls en France à la pratiquer. Mais je rappelle que l’indexage est une méthode qui permet de détecter la présence d’un virus indépendamment du sérotype présent dans la plante testée. Elle est encore actuellement, pour certaines viroses, la seule méthode de dépistage connue.
Comment procédez-vous pour détecter des virus quand vous introduisez du matériel végétal au Centre de sélection ?
Pascal Bloy : Le process classique quand on introduit du matériel végétal consiste à faire d’abord un test Elisa. C’est un premier test rapide qui nous permet de savoir si ce matériel est positif ou pas. S’il est positif, on l’élimine. S’il est négatif, on procède à un Test PCR pour confirmer le test Elisa et commence alors la phase d’indexage et de lecture des symptômes qui peut durer de 1 à 3 ans. Pour garantir une sélection indemne de toutes viroses graves, lorsque les tests agronomiques avec nos partenaires sont terminés, on refait une dernière fois des tests PCR sur cette sélection pour être sûr à 100 % qu’il n’y a pas de soucis sanitaires.
Les sélections de vigne qui sont inscrites au Catalogue Officiel des Variétés de Vigne cultivées en France sont donc exemptes des viroses principales de la vigne ?
Pascal Bloy : Tous les clones qui sont conservés ici au Centre de sélection du Domaine de l’Espiguette et qui sont aussi multipliés et diffusés auprès des pépiniéristes ont fait l’objet d’indexages négatifs sur toutes les viroses principales. Ils ont également fait l’objet d’un suivi de tests Elisa réguliers pendant la conservation du matériel végétal sur le site et, depuis que l’on maitrise cette technique, ils ont subi de tests PCR. La quasi-totalité des clones que nous avons introduits ici au Centre de Sélection a été testée par les 3 techniques. C’est donc un matériel parfaitement sain, au travers de ces 3 techniques, qui est agréé au Catalogue Officiel des Variétés de Vigne cultivées en France.
Qu’est-ce que la sélection sanitaire et l’assainissement ont apporté comme autres progrès depuis leur mise en place ?
Pascal Bloy : Outre les variétés étrangères qui ont été assainies et mises à disposition des vignerons français dans le contexte de l’adaptation au changement climatique, l’assainissement et la sélection sanitaire ont permis de remettre au goût du jour toutes ces variétés anciennes ou oubliées qui pour la grande majorité étaient virosées. Cela a donc permis d’augmenter l’offre de la gamme du Catalogue officiel avec des variétés qui avaient été abandonnées parce qu’elles étaient trop tardives et produisaient peu de sucre et qui aujourd’hui, au-delà de leur intérêt patrimonial, peuvent être très intéressantes dans le cadre du réchauffement climatique.
Garantir du matériel végétal vigne sain passe aussi par de la formation ?
Pascal Bloy : Oui la formation est indispensable et obligatoire puisque pour devenir professionnel agréé de la pépinière viticole il faut avoir suivi une formation en ampélographie et en reconnaissances des maladies. C’est également devenu fondamental puisqu’il y a un désengagement progressif des pouvoirs publics sur le contrôle des maladies qui délèguent aux professionnels de la pépinière viticole le soin d’assurer le contrôle de leurs vignes mères notamment. Depuis la création du Centre de sélection dans les années 1960, nous avons toujours organisé des stages d’ampélographie et cela a perduré et ces formations sont complétées, depuis quelques années, avec la reconnaissance des maladies. Car on s’est rendu compte que c’était primordial pour garantir la qualité sanitaire du matériel français. Diffuser du matériel végétal vigne sain, c’est bien. Mais il faut qu’il le reste et qu’ensuite on puisse identifier s’il y a des problèmes pour éviter aux professionnels de diffuser du matériel malade. Et l’IFV a un rôle important à tenir pour aider les professionnels à se former.
Qu’est-ce qui a le plus évolué depuis 20 ans dans la sélection du matériel végétal vigne ?
Pascal Bloy : La virologie a fortement évolué ces 20 dernières années. Aujourd’hui, on sait qu’il y a plus de 80 virus chez la vigne. A l’origine de l’Entav, il y avait peu de virus connus. Nous avons donc dû nous adapter tout au long de l’histoire du Centre de sélection en suivant l’évolution des connaissances mais également des techniques. Et notre objectif désormais est de toujours savoir anticiper, en ayant une activité de recherche pour être au plus près de l’évolution des connaissances et adapter nos techniques de sélections. On a également fortement progressé sur la création variétale et dans les analyses de laboratoire puisqu‘on est équipé pour faire pratiquement tous les types d’analyses en virologie. Il est nécessaire aussi de rester à la pointe de la recherche pour s’adapter rapidement. Nous menons actuellement un travail étroit avec l’INRAE de Colmar sur la détection exhaustive de tous les virus présents dans un échantillon de vigne à l’aide du séquençage à haut débit (HTS).
Propos recueillis par Régis Cailleau
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