
Ponte de tordeuses sur cépage noir. Photo : IFV
Le projet FranceAgriMer BIOTOR a pour objectif d’encourager le recours à des produits de biocontrôle contre les tordeuses de la grappe en proposant des stratégies optimisées d’utilisation, intégrées dans l’itinéraire de protection des viticulteurs.
Les espèces de tordeuses les plus nuisibles en Europe sont eudémis (Lobesia botrana) et cochylis (Eupoecilia ambiguella). La lutte conventionnelle contre ces ravageurs nécessite en général une utilisation de 1 à 3 traitement(s) insecticide(s) par an. La réduction de l’utilisation des insecticides chimiques est devenue un objectif aussi bien pour le personnel des vignobles que pour les consommateurs et l’environnement (Thiéry et al., 2015). Dans ce cadre, des solutions alternatives sont disponibles dans la liste des produits phytopharmaceutiques de biocontrôle. Elles devront permettre à moyen terme de s’affranchir de l’utilisation des insecticides chimiques tout en maintenant une qualité organoleptique et sanitaire des vins en lien avec leur adaptation aux marchés.
Le projet Biotor s’articule autour d’un même essai (même méthode, même protocole) décliné chez chaque partenaire dans leur vignoble. Ces travaux sont menés en Nouvelle-Aquitaine avec l’IFV Nouvelle-Aquitaine, l’INRAE de Bordeaux, les Chambres d’agriculture de Gironde, de Charente et de Dordogne, et AgroBio Périgord.
Dégâts causés par les tordeuses de la grappe
A Bordeaux, les tordeuses de la grappe (également appelées « vers de la grappe ») se développent sur 2 génération(s) pour la cochylis et 3 à 4 générations pour l’eudémis. En première génération (G1), les larves attaquent les boutons floraux qu’elles agglomèrent à l’aide d’un fil de soie, formant des glomérules. Ces attaques ont en général une influence faible sur le poids et la qualité de la récolte, sauf sur des cépages sensibles à la coulure (Roehrich et Boller, 1991). En deuxième et troisième générations (G2 et G3), les larves pénètrent immédiatement dans une baie après l’éclosion, se nourrissent de la pulpe, puis très souvent quittent leurs galeries et s’attaquent aux baies voisines, regroupant celles endommagées par de la soie en foyer larvaire caractéristique. Les chenilles vont ainsi engendrer un risque de contamination des grappes par les champignons responsables de la pourriture grise (Fermaud et Le Menn, 1989) ou acide. Sur cépages de cuve, si les pertes de récolte liées aux tordeuses de la grappe sont généralement très limitées, il en va tout autrement lorsque les attaques de G2 et G3 sont suivies de conditions favorables au développement de la pourriture grise. Les pertes peuvent alors être à la fois quantitative et qualitative (dépréciation organoleptique, diminution de la qualité des vins).
Observations et seuils d’intervention
L’utilisation collective de pièges sexuels et/ou alimentaires (Réseau de piégeage) permet de définir la cinétique du vol afin de positionner au mieux les observations nécessaires à la prise de décision de traitement. Attention, la valeur des données récoltées sur le réseau dépend de la régularité des observations et du nombre de pièges présents à l’échelle d’une zone viticole homogène. Des réseaux peuvent vous accompagner dans cette démarche. Notamment le BSV Nouvelle-Aquitaine qui fournit des pièges sexuels et/ou alimentaires et se propose d’analyser les informations récoltées hebdomadairement.
Indicateur de pilotage |
Echantillonnage |
Périodicité des observations | Temps d’observation |
Piégeage sexuel | 1 piège/espèce | Minimum une observation hebdomadaire | 5 minutes |
Piège alimentaire | 3 pièges | Minimum une observation hebdomadaire | 10 minutes (sans sexage) 30 minutes (avec sexage des papillons) |
Les œufs | 25 grappes/parcelle | Hebdomadaire à partir du départ du vol (1 à 2 fois) | 20 à 40 minutes |
Les glomérules | 25 à 100 grappes / parcelle |
Hebdomaire à partir du signalement des premiers dégâts (1 à 2 fois) |
5 minutes pour 25 grappes |
Les perforations | 25 à 100 grappes / parcelle |
Hebdomaire à partir du signalement des premiers dégâts (1 à 2 fois) |
10 minutes pour 25 grappes |
L’observation des dégâts peut s’effectuer par îlot ou par parcelle selon le niveau de précision attendu par le viticulteur. Pour définir l’opportunité d’un traitement, il faut se baser sur les observations des œufs sur la génération en cours ou les dégâts observés lors de la génération précédente. En effet, lors de l’observation des glomérules et/ou perforations, il est souvent trop tard pour obtenir une efficacité satisfaisante des produits phytopharmaceutiques sur la génération en cours. La lutte contre les tordeuses de la grappe nécessite une intervention avant l’apparition des dégâts.
Les seuils ci-dessous sont communément admis pour définir l’opportunité d’un traitement :
- Dès l’observation de 10 œufs pour 100 grappes sur la génération en cours.
- Si le nombre de glomérules est supérieur à 5 glomérules pour 100 grappes, une intervention sur la 2e génération est nécessaire.
- Si la fréquence de grappe touchée en G2 est supérieure à 10%, une intervention préventive sur la génération 3 est nécessaire. Dans le cas d’une parcelle sensible au botrytis, le seuil peut être abaissé à 3% des grappes touchées.
Mode d’action des moyens de biocontrôle
Actuellement, trois modes d’action de biocontrôle sont disponibles sur le marché contre les tordeuses de la grappe en viticulture :
- Médiateurs chimiques: Les phéromones sexuelles sont des molécules odorantes qui permettent à deux partenaires sexuels de se rencontrer (Thiéry, 2008). La confusion sexuelle consiste à perturber la rencontre des deux sexes, en répandant dans l’atmosphère la molécule principale du bouquet phéromonal des femelles, de manière à éviter les accouplements et par conséquent les pontes fertiles. La confusion sexuelle est spécifique de l’espèce visée ( botrana ou E. ambiguella).
- Macro-organismes: Les trichogrammes sont des micro-hyménoptères, appartenant à la famille des Trichogrammatidae, dont la taille est souvent inférieure au millimètre. Ce sont des parasitoïdes oophages de nombreux insectes, en majorité des lépidoptères. Les femelles introduisent leur tarière dans l’œuf hôte, pour y déposer un ou plusieurs œufs. L’œuf hôte est tué très tôt et ce sont ses tissus désintégrés et son vitellus qui servent de nourriture à la larve de trichogramme. Ainsi, de l’œuf de tordeuse parasité émergera un adulte de trichogramme et non une chenille.
- Micro-organismes: Le Bacillus thuringiensis (Bt) est une bactérie Gram + qui synthétise une protoxine enveloppée dans un cristal. Ce complexe de protéines doit être ingéré par l’insecte pour être toxique. Le cristal solubilisé par les sucs digestifs libère la toxine qui perfore la paroi intestinale. Il y a alors arrêt de l’alimentation et septicémie provoquant la mort de la larve dans les 48h.
Mise en œuvre des solutions de biocontrôle
-
- Conservation et stockage
Les produits à base de micro-organismes ont globalement des conditions de stockage identiques à celles des produits phytopharmaceutiques classiques tandis que les diffuseurs de confusion sexuelle doivent être stockés dans leur emballage d’origine à une température de 5°C.
Les trichogrammes doivent être utilisés rapidement après leur réception par le viticulteur. Le stockage doit être réalisé à une température de 10-12°C et en dehors de la présence de produits phytopharmaceutiques. Lors du transport, les diffuseurs ne doivent pas être exposés au soleil.
- Mode d’application des moyens de biocontrôle
La confusion sexuelle peut reposer sur l’usage de 2 types de matériels : soit des diffuseurs à poser sur le palissage des rangs de vigne, soit des aérosols. Quelle que soit la technique retenue, elle nécessite une surface de 5 ha minimum et la mise en place d’une lutte collective.
- La pose des diffuseurs doit être effectuée avant l’émergence des papillons femelles en G1. Les 500 diffuseurs doivent être répartis à équidistance sur le rang et entre les rangs à raison d’un pour 20 m². Les bordures de parcelles sont « renforcées » par la pose d’un diffuseur à chaque extrémité de rang et par un doublement des diffuseurs.
- La solution par diffusion aérienne nécessite le positionnement de deux diffuseurs d’un aérosol contenant l’imitation de la phéromone par hectare. La phéromone est diffusée en fin de journée et la nuit pendant le vol des papillons.
Les trichogrammes se présentent sous la forme de diffuseurs cartonnés à positionner dès le début des pontes de la génération visée (100 diffuseurs/ha). Un renouvellement des diffuseurs doit être réalisé tous les 15 jours en période active de ponte. Les diffuseurs sont biodégradables et ne nécessitent pas de dépose.
L’application des micro-organismes Bt se fait avec une pulvérisation face par face localisée au niveau de la zone des grappes. Généralement, le volume par hectare conseillé est important, de l’ordre de 100-200 L/ha. Leur positionnement est à privilégier au stade tête noire avec un renouvellement 7-12 jours après la première application en fonction des conditions climatiques (cf. Facteurs de succès et points de vigilance).
Comparaison de l’efficacité des méthodes de lutte
Le projet FranceAgrimer BIOTOR (associant IFV, INRAE, chambres d’agriculture de Charente, de Dordogne, de Gironde et Agrobio Périgord) a permis d’étudier entre 2016 et 2018 les produits de biocontrôle homologués contre les tordeuses de la grappe, seuls et en association. Voici quelques résultats.
- Bacillus thuringiensis: La stratégie Bt consistait à appliquer en G2 ou G3 du Dipel DF® au stade tête noire puis à renouveler avec du Xentari® 10 jours plus tard. Sur les 3 ans d’essais, le Bt obtient en moyenne une réduction de la fréquence d’attaque de 33% et une réduction du nombre de perforations des baies de 53%, par rapport au témoin non traité. Les résultats obtenus sont réguliers et statistiquement significatifs (Figure 2).
Figure 2 : Efficacité (%) du traitement au Bt par rapport au témoin non traité, sur les 13 sites. L’efficacité significative a été vérifiée statistiquement (p<0,05), la tendance positive montre une efficacité non vérifiée au niveau statistique (p<0,1). Source : Projet BIOTOR, 2016-2018.
- Trichogrammes : les essais effectués par la chambre d’agriculture de Charente pendant 3 années sur la deuxième génération d’eudémis ont montré des résultats encourageants dans un contexte de confusion sexuelle avec une pression très forte (471 perforations / 100 grappes sur le témoin sous confusion sexuelle seule). Dans ces conditions, les trichogrammes permettent une réduction des dégâts de 38% par rapport à la modalité non traitée (Figure 3). Les lâchers de trichogrammes peuvent être complétés de traitement Bt pour obtenir une efficacité équivalente voire supérieure à l’utilisation d’un insecticide conventionnel.
Pour la troisième génération, après 2 ans d’essai, la chambre d’agriculture de Dordogne obtient en moyenne une réduction de la fréquence d’attaque de 24% et une réduction du nombre de perforations de 48% dans un contexte de pression très forte avec en moyenne 569 perforations pour 100 grappes sur le témoin non traité.
Figure 3 : Efficacité de l’utilisation de trichogrammes dans la lutte contre eudémis dans le cadre d’une lutte globale intégrant plusieurs solutions de biocontrôle entre 2015 et 2017 : efficacité en % par rapport au témoin non traité dans une zone sous confusion sexuelle (Source : Chambre d’agriculture de la Charente).
- Pour la confusion sexuelle, non testée dans le projet, l’efficacité obtenue est comparable à celle d’une protection insecticide à la condition de recourir à une intervention insecticide complémentaire en cas de forte pression (Sentenac et Thiéry, 2008). Dans ce cadre, un contrôle des glomérules en G1 est nécessaire pour décider de l’opportunité d’un traitement chimique préventif en G2, en fonction du seuil d’intervention en confusion sexuelle (30 glomérules avec chenilles vivantes pour 100 inflorescences).
Facteurs de succès et points de vigilance
En première année de confusion sexuelle, un traitement insecticide préventif sur les premières éclosions de la première génération est fortement conseillé.
La réussite de la confusion sexuelle découle de 4 points essentiels :
- Les diffuseurs doivent être posés avant le début du vol, de façon à éviter tout accouplement pouvant être à l’origine de pontes.
- En cas de forte densité de population, les rencontres fortuites ne sont pas exclues, c’est pourquoi des traitements insecticides complémentaires peuvent être nécessaires. Attention, la confusion sexuelle ne dispense pas de contrôler les niveaux de population.
- La confusion sexuelle par usage de phéromones ne leurre que les mâles : des femelles fécondées à l’extérieur de la zone protégée peuvent venir pondre dans celle-ci depuis des distances relativement importantes (50 m). C’est « l’effet de bordure ». Une protection complémentaire est nécessaire pour assurer la protection de cette zone. C’est pourquoi la taille de la zone sous confusion sexuelle ne doit pas être inférieure à 5 ha et se révèle bien plus efficace en lutte collective sur des grandes surfaces de vignoble.
- La confusion sexuelle chimique étant spécifique de l’espèce visée (botrana ou E. ambiguella), il est nécessaire de bien identifier la cible.
Les trichogrammes ne sont pas compatibles avec l’utilisation de soufre et d’insecticides chimiques. Il est nécessaire de se rapprocher de son conseiller technique pour établir un programme phytosanitaire adapté. La présence de fourmis peut aussi être une des causes de perte d’efficacité des trichogrammes. En effet, certaines espèces de fourmis vont consommer les œufs de trichogrammes dans les diffuseurs avant leur éclosion. Des diffuseurs spéciaux sont disponibles pour éviter ce phénomène.
Le positionnement du Bt nécessite une observation rigoureuse des stades de ponte pour intervenir au stade tête noire. Un traitement appliqué trop tôt (sur les premières pontes) ou trop tard entraînera l’échec de la stratégie. Le Bt présente une sensibilité aux rayonnements UV et au lessivage (au-delà de 20 mm). En fonction des conditions météorologiques, sa persistance d’action peut varier entre 7 et 12 jours. Une pulvérisation localisée sur les grappes est nécessaire pour obtenir des résultats satisfaisants. Le Bt ne doit pas être mélangé avec des produits cupriques.
Conclusion
Le panel de solutions contre les tordeuses de la grappe au vignoble est très complet et permet de s’attaquer aux différents stades clefs de développement. Certaines techniques sont démocratisées comme la lutte par confusion sexuelle qui est en plein essor en France avec près de 70000 ha protégés. D’autres techniques, comme le recours aux trichogrammes, semblent être des solutions prometteuses pour l’avenir.
Pour la filière, ces solutions présentent l’avantage de répondre aux enjeux suivants :
- Diminution du recours aux insecticides chimiques : Les produits de biocontrôle se positionnent aujourd’hui comme des alternatives efficaces pour la gestion durable des vers de la grappe. Les seuls freins à leur généralisation sont le coût parfois élevé de ces méthodes et, surtout, la lutte obligatoire contre la cicadelle vectrice de la flavescence dorée.
- Développement de la lutte biologique par conservation : L’utilisation de produits plus respectueux de l’environnement permettant de lutter contre les tordeuses de la vigne tout en préservant les auxiliaires est nécessaire dans le cadre de la protection agroécologique des cultures.
- Réduction des quantités de résidus phytosanitaires : Les produits insecticides classiques peuvent générer l’apparition de résidus phytosanitaires dans les vins. A ce jour, les produits de biocontrôle ne semblent pas générer de tels résidus.
- Faible impact éco-sociétal : Le Bt dispose d’un délai avant récolte (DAR) de 1 à 3 jours, d’une zone non traitée (ZNT) de 5 m et d’un délai de rentrée (DRE) de 6 à 8h. La confusion sexuelle et les trichogrammes ne disposent pas de DAR, ZNT et DRE. Ces produits ont ainsi des conditions d’usages avantageuses par rapport aux produits conventionnels.
Article rédigé par Xavier Burgun du Pôle IFV Nouvelle Aquitaine
Cet article est également paru dans l’Index Acta Biocontrôle 2021

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