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Et si la solution pour éviter les vins phénolés était la maîtrise de la fermentation alcoolique ? La production de phénols volatils par Brettanomyces est complétement liée aux teneurs en acides phénols libres. Un indice est proposé pour évaluer le risque : la TPPV (Teneur Potentielle en Phénols Volatils). Celle-ci est indépendante des conditions viticoles et œnologiques. En revanche, la levure Saccharomyces qui réalise la FA joue un rôle essentiel. Certaines souches ont la capacité d’éliminer les acides phénols en vinification en rouge.

Brettanomyces est une levure inféodée à l’environnement des chais. Son activité n’est généralement constatée qu’après la réalisation de la fermentation alcoolique (FA) du fait d’une présence insignifiante sur le raisin et de son métabolisme relativement lent.

Les travaux de l’IFV de Beaune montrent que la production de phénols volatils, liée au développement de Brettanomyces dans un vin, est totale. L’impact organoleptique dépend donc directement de la quantité d’acide p-coumarique et d’acide férulique. Celle-ci n’est pas dépendante du terroir, du cépage, de la maturité du raisin ou de la technique de macération. Les teneurs en acides phénols libres d’un vin rouge après décuvage sont complétement liées à la FA. La qualité de la flore de levure Saccharomyces cerevisiae et son aptitude à conduire la FA jusqu’à son terme sont les facteurs déterminants. Dans ces conditions, certaines cuvées n’ont pratiquement plus d’acides phénols au décuvage alors que d’autres en ont assez pour la production de plus de dix fois le seuil de perception des phénols volatils, qui est de l’ordre de 200 µg/L dans les vins. Aucune analyse classique ne permet de mettre en évidence ce niveau de risque.

L’IFV propose un nouvel indice de risque d’altération par Brettanomyces, d’une cuvée donnée : La TPPV (Teneur Potentielle en Phénols Volatils). La technique de référence pour déterminer cet indice consiste à ensemencer un prélèvement de vin avec une souche spécifique de Brettanomyces, puis à doser les phénols volatils après une incubation nécessaire et suffisante. Une autre technique, plus rapide et plus adaptée à la routine œnologique, consiste à doser les acides p-coumarique et férulique libres puis à déterminer par calcul leurs correspondances en phénols volatils. Les bases de cette technique de dosage par HPLC sont connues depuis longtemps. Le problème est d’obtenir une précision de quelques dizaines de µg/L. Afin de réaliser le diagnostic complet d’une cuvée, la détermination de la TPPV peut être couplée avec une analyse des phénols volatils, qui doit être en dessous de la limite de quantification (10 µg/L) en l’absence de contamination présente ou passée par Brettanomyces.

Suivi de la TPPV en vinification en rouge.

Le suivi de 15 cuvées de pinot noir et de gamay, vinifiées en conditions réelles, montrent que la TPPV des moûts après l’encuvage est de l’ordre de 1000 µg/L (Figure 1). Après le décuvage, la TPPV est de l’ordre de 600 µg/L, soit une diminution de 40%. Le suivi de 15 autres cuvées montre que la TPPV se maintient à un niveau équivalent dans les mois qui suivent le décuvage, en l’occurrence de l’ordre de 400 µg/L. Aucune contamination active de Brettanomyces n’a été détectée pour les cuvées suivies.

La maîtrise de la FA avec une souche spécifique de Saccharomyces cerevisiae peut réduire considérablement la TPPV au décuvage. Le suivi de 15 mini-vinifications de pinot noir et gamay montre que la TPPV, de l’ordre de 1000 µg/L avant la FA, est réduite à un niveau pratiquement insignifiant, moins de 100 µg/L, après sa réalisation avec la levure Fermivin P21 (Figure 2). La vinification de vins rouges de domaines avec cette même levure a permis d’obtenir une TPPV au décuvage de l’ordre de 200 µg/L. Les vins obtenus sont donc organoleptiquement insensibles à une contamination en Brettanomyces. Une implantation plus ou moins complète de la levure ensemencée, une part de vendange entière plus ou moins épargnée pendant la macération, ainsi qu’une phase de cuvaison post-fermentaire, peuvent cependant impacter la réduction de la TPPV en conditions pratiques.

Incidence de la souche de Saccharomyces sur la TPPV.

Une étude a été conduite en laboratoire avec un moût de chardonnay qui a été initialement macéré ou non avec des pellicules fraiches de pinot noir (environ 12 heures à 60°C). Le moût est ensuite pasteurisé et fermenté en phase liquide avec 25 souches différentes de Saccharomyces cerevisiae. Avant la FA, la TPPV est de 700 µg/L pour le chardonnay pur (sans MP) et de 1300 µg/l pour le chardonnay avec une macération pelliculaire (avec MP).
La Figure 3 considère un tri des 25 souches de Saccharomyces cerevisiae selon une TPPV, en fin de FA, décroissante pour le chardonnay avec MP. Une courbe de tendance logarithmique est alors clairement observée (R2 = 0.89). Certaines souches permettent d’obtenir une TPPV très basse, inférieure à 50 µg/L. Parallèlement, aucune accumulation de vinyls n’a été constatée (teneurs inférieures à 50 µg/L, non représentés sur la Figure 3), quel que soit le niveau de TPPV, vraisemblablement du fait de la formation de pyrano-anthocyanes. Ce n’est pas le cas pour le chardonnay sans MP. La teneur en vinyls dépend alors de la souche de Saccharomyces et suit une tendance logarithmique inverse de celle de la TPPV du chardonnay avec MP (R2 = 0.66). Parallèlement, il est étonnant de constater que la TPPV du chardonnay sans MP est toujours de l’ordre de 300 µg/L, soit une perte de 60% avec la réalisation de la FA. La TPPV est alors uniquement liée aux acides phénols pour les souches dites « POF- » et pratiquement uniquement liée aux vinyls pour les souches les plus orientées « POF+ ».

Les résultats obtenus mettent en évidence une perte de TPPV au cours de la FA qui ne s’explique pas par l’accumulation de vinyls ou leurs combinaisons avec les anthocyanes. Dans les conditions expérimentales, cette perte ne peut être imputée à des phénomènes d’oxydation. Les lots ont été pasteurisés à 75°C. De plus, si cette perte était effective, elle concernerait aussi le lot déterminant la TPPV initiale du moût, uniquement ensemencé en Brettanomyces. Par ailleurs, des tests réalisés avec des levures inactivées n’ont pas montré d’incidence sur la TPPV, ce qui écarterait aussi les phénomènes d’adsorption. Des travaux doivent donc être conduits pour préciser l’ensemble des mécanismes impliqués dans la transformation des acides phénols en conditions de vinification.

Note 1 : Métabolisme des acides phénols dans les vins. La décarboxylation des acides phénols (acide férulique et acide p-coumarique) en vinyls (respectivement le 4-vinyl-gaïacol et le 4-vinyl-phénol) est la première étape dans la production de phénols volatils par Brettanomyces qui s’enchaine avec une seconde étape de réduction des vinyls en éthyls (4-éthyl-gaïacol et 4-éthyl-phénol). Saccharomyces ne possède que la décarboxalyse, qui est plus ou moins active selon les souches. C’est le caractère “POF” (phénolic off-flavors) qui conduit donc à une production plus ou moins importante de vinyls. En vinification en blanc, les vinyls s’accumulent et restent une source pour la production de phénols volatils par Brettanomyces. En vinification en rouge, les vinyls se combinent aux anthocyanes pour former des pyrano-anthocyanes et ne sont donc plus une source de phénols volatils pour Brettanomyces. 

Note 2 : Explication des boites à moustaches : bas de la boite = valeur du 1er quartile / trait de la boite = valeur du 2ème quartile (médiane) / haut de la boite = valeur 3ème quartile / moustache inférieure = valeur la plus basse / moustache supérieure = valeur la plus haute.

Remerciements :

L’IFV de Beaune remercie les partenaires qui ont contribué directement à l’obtention de ces résultats : Le BIVB (Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne), la Société Lallemand, ainsi que les domaines de Bourgogne.

Pour en savoir plus :

  • Gerbaux V., Thomas J., Hardy A. 2021. Détermination du risque de production de phénols volatils par le dosage des acides phénols. Rev des Oenol.,178, 52-54.
  • Gerbaux V. et Thomas J. 2022. Teneur potentielle en phénols volatils des vins de Bourgogne. Partie 1 : Incidences de facteurs viticoles et œnologiques. Rev. Fr. Oenol., 309, 22-33.
  • Gerbaux V. et Thomas J. 2022. Teneur potentielle en phénols volatils des vins de Bourgogne. Partie 2 : Evolution des acides phénols au cours de la vinification. Rev. Fr. Oenol., 311, 24-35.