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La filtration est une opération importante et quasiment généralisée quelque que soit la taille des structures de vinification. Elle permet en effet d’obtenir la brillance et la limpidité demandée par le consommateur et, selon les cas, de stabiliser microbiologiquement les vins.

Les vinificateurs ont un choix très vaste d’outils et de médias de filtration à leur disposition, avec certaines spécificités lorsque les matériels ne sont utilisés qu’une petite période de l’année, sur des volumes relativement limités.

La filtration par alluvionnage, ou filtration sur terre, reste le procédé de filtration le plus utilisé, bien qu’il soit progressivement remplacé par la microfiltration tangentielle. Elle met en oeuvre des adjuvants de filtration, comme la cellulose, la perlite et surtout du Kieselguhr (diatomite), constituée de carapaces fossiles d’algues microscopiques. La porosité élevée et la grande diversité de choix de perméabilité offrent une très grande polyvalence d’utilisation, de la filtration précoce des vins jeunes, à la filtration de préparation à la mise en bouteille. La particularité de ce mode de filtration est le renouvellement en permanence de la couche filtrante par l’alluvionnage, ce qui se traduit, outre par la limitation du colmatage, une excellente clarification par effet tamisage et profondeur, d’où la brillance des vins après filtration. Par contre, la rétention par adsorption est limitée, ce qui ne permet pas d’éliminer la totalité des levures et bactéries, même avec des filtrations serrées.

Les débits par unité de surface sont élevés, de 5 à 25hl/h/m², ce qui autorise à de « petites structures » la filtration de volumes conséquents avec des équipements de quelques m², de faible encombrement. Le filtre recommandé est le filtre à plateaux horizontaux, avec débatissage à sec, et équipé d’un élément de filtration résiduelle en fin de cycle. Des filtres presses, équipées de dispositifs spécifiques pour l’alluvionnage, sont également utilisables. Le prix des petites unités de filtration étant relativement élevées, il est souvent préférable, en fonction des volumes traités, de faire appel à un prestataire de service, d’autant plus que la réussite de la filtration nécessite expérience et savoir-faire. Sur de faibles volumes, la valorisation des terres de filtration usagées peut être réalisée par épandage et donc ne constitue pas un inconvénient majeur comme c’est le cas lorsque les volumes de déchets générés sont importants. Cependant nous rappelons que l’opérateur doit être protégé des expositions à la silice cristalline contenu dans le Kieselguhr.

La filtration sur plaques est bien adaptée à la propriété en raison de sa polyvalence, de la simplicité de mise œuvre, des couts modérés des équipements et d’un usage unique des plaques. Les plaques filtrantes sont constituées essentiellement de fibres de cellulose formant un tamis tridimensionnel, auxquelles sont ajoutées en proportions variables selon les fabrications du kieselguhr et de la perlite. Le choix varié de grades (perméabilités) permet de filtrer les vins à tous les stades de leur élevage. La filtration sur plaques est cependant plus particulièrement adaptée à la clarification avant embouteillage ou après une longue période d’élevage. La particularité de la filtration sur plaques est de combiner trois mécanismes de séparation : tamisage, effet profondeur et adsorption. L’adsorption met en jeu des forces électrocinétiques, ce qui permet la rétention de particules de taille plus petites que celles des pores les plus fins des plaques. La filtration sur plaques peut donc être considérée comme une filtration « douce », permettant de réduire significativement le nombre de germes. Elle peut être même stérilisante, mais les plaques étant non testables, sans garantie absolue de résultat, à l’inverse de la filtration sur membranes.

Pour la filtration à la propriété, des filtres 40*40 sont généralement les mieux adaptés, des abaques constructeurs donnant le nombre de plaques à installer en fonction des volumes à filtrer. Les filtres doivent évidemment être équipés de deux manomètres, entrée et sortie, d’un by-pass et alimentés par une pompe volumétrique à débit réglable. Malgré la simplicité apparente d’utilisation, la qualité du travail réalisé est très dépendant des conditions de mise en œuvre. Les plaques doivent être affranchies à l’eau jusqu’à disparition du gout de « plaques ». Les qualités d’eau nécessaires peuvent être très variables selon les fabrications et les caractéristiques de l’eau utilisée pour le rinçage. Les plaques doivent être suffisamment comprimées avant filtration pour éviter les pertes par égouttage. Enfin les conditions hydrodynamiques recommandées par les fabricants doivent être respectées. Si les pressions maximales sont généralement assez bien respectées dans la pratique, les débits de filtration sont rarement contrôlés, au détriment de la qualité de filtration.

La filtration sur modules lenticulaires est généralement peu adaptée pour des structures élaborant de faibles volumes, avec des filtrations espacées dans le temps, en raison des risques liés à la conservation des modules.

La microfiltration tangentielle connait un développement important ces dernières années. Initialement réservée aux structures élaborant des volumes importants, les équipementiers proposent des filtres de faible surface (une dizaine de m²) pour la filtration de faibles volumes. Les prix d’acquisitions d’un filtre tangentiel étant élevé, la filtration à la propriété est réalisée le plus fréquemment en prestation de service. L’originalité réside dans le flux parallèle au média filtrant, ce qui évite l’accumulation de particules à la surface. Un filtre tangentiel permet donc, en une seule opération, d’obtenir un vin limpide et la rétention totale des bactéries et levures. Les filtres peuvent être de configurations diverses, avec des membranes organiques ou membranes céramiques, et plus ou moins automatisés. Ils peuvent être utilisés en cas de risques ou de présence d’altérations, notamment dans le cas de développement de levures Brettanomyces. Ils constituent alors une alternative à la flash-pasteurisation. En préparation à la mise, ils remplacent plusieurs filtrations sur terre ou plaques, en limitant les pertes de vins. Les débits étant difficilement ajustables, la filtration ne peut pas être réalisée en ligne avec la tireuse. Le passage dans une cuve tampon est obligatoire, ce qui rend nécessaire une filtration finale sur membrane pour garantir une mise pauvre en germes.

La filtration sur cartouches est généralement intégrée à l’unité de mise en bouteille. Pour de faibles volumes, la mise est, dans la majorité des cas, réalisée en prestation de service, en unité mobile. Les cartouches peuvent être des cartouches de pré-filtration, de type profondeur ou de surface, installées devant des cartouches de filtration finale pour les protéger. Ces dernières assurent essentiellement la rétention des microorganismes résiduels, avec des seuils de rétention bien définis. Ceux-ci doivent être définis avec l’œnologue en fonction des caractéristiques des vins et des objectifs de commercialisation.

Tous les procédés de filtration décrits ci-dessus peuvent conduire à des résultats respectueux de la qualité du vin s’ils sont correctement utilisés et intégrés dans un schéma raisonné d’élaboration. De nombreuses expérimentations réalisées ont démontrées que, dans ces conditions, la filtration n’a pas d’impact négatif sur les qualités organoleptiques des vins. A l’opposé, une filtration trop « serrée » liée à un mauvais choix de média filtrant, un colmatage rapide du filtre, une filtration peu efficace d’un point de vue microbiologique peuvent être des causes de pertes qualitatives.

Jean-Michel Desseigne

Jean-Michel Desseigne est ingénieur agronome-oenologue au Pôle Rhône Méditerranée de l'IFV, spécialisé dans les procédés oenologiques