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Quelques résultats issus d’expérimentation et leurs retombées pratiques

L’implantation d’un couvert végétal en association avec la vigne s’inscrit dans la constitution d’un système de culture multi-espèces et est, à ce titre, une pratique agroécologique susceptible de rendre de nombreux services écosystémiques, avec en particulier une protection et amélioration des propriétés physiques et chimiques des sols, des effets positifs sur la vie des sols et sur la diversification des paysages et des systèmes de culture.

Les expérimentations menées conjointement par la Chambre d’Agriculture du Rhône et la Sicarex Beaujolais, ces dernières années, ont montré l’intérêt de l’enherbement au niveau environnemental (lutte contre l’érosion, réduction de l’utilisation des herbicides, biodiversité…) et sa faisabilité technique mais également la difficulté de le gérer sur toute la surface. La concurrence vis-à-vis de la vigne est alors trop forte : baisse importante de la vigueur, du rendement, problème de fermentescibilité des moûts. Une façon de résoudre ce problème serait d’alterner enherbement et engrais vert sur les inter-rangs. L’engrais vert d’un inter-rang permettrait de compenser la perte d’azote disponible pour la vigne, due à l’enherbement de l’autre inter-rang. Par ailleurs, cette technique permet de détruire le couvert avant qu’il ne devienne concurrentiel pour la vigne au niveau des ressources hydro-azotées.

De façon plus générale, l’utilisation des engrais verts peut permettre de restaurer la fertilité des sols. En effet la fertilité des sols du Beaujolais a tendance à diminuer, du fait de leur nature (cas des sols sableux) mais aussi d’une certaine négligence de la part des viticulteurs, en lien avec les difficultés économiques. L’emploi des engrais verts est un bon moyen d’y remédier, de façon écologique. Il reste à bien maitriser cette technique et à vérifier son intérêt en fonction du type de sol.

Les expérimentations réalisées

Dans cet objectif, quatre expérimentations ont été mises en place en Beaujolais sur deux types de sol contrastés : sol granitique (parcelles de St Etienne La Varenne et Odenas) et sol argilo-calcaire (2 parcelles sur Liergues). Le tableau 1 récapitule les espèces semées et la durée des expérimentations. Dans tous les cas, les inter-rangs sont larges (2 m en général) et les vignes sont palissées (mode de taille cordon ou guyot). L’engrais vert est semé après les vendanges, un inter-rang sur deux, l’autre inter-rang étant soit enherbé (St Etienne), soit désherbé mécaniquement (3 autres parcelles). Les 2 mélanges d’espèces utilisés sont des mélanges du commerce :

Mélange A : avoine rude, vesce commune de printemps, trèfle d’Alexandrie, phacélie, radis asiatique

Mélange B : avoine rude, seigle multicaule, vesce pourpre, radis asiatique, trèfle incarnat, trèfle d’Alexandrie, phacélie, moutarde brune, vesce velue, lin

Tableau 1 : Principales caractéristiques des essais

Sol Site Cépage Espèces semées Durée d’expérimentation
Granitique St Etienne LV Gamay Féverole puis mélange 7 ans (2016-2022)
Granitique Odenas Gamay Mélanges 5 ans (2018-2022)
Argilo-calcaire Liergues Chardonnay Féverole 4 ans (2016-2019)
Argilo-calcaire Liergues Chardonnay Mélanges 5 ans (2018-2022)

Biomasse produite par l’engrais vert

La quantité de biomasse produite par l’engrais est un des indicateurs principaux de la réussite de la pratique car de là vont découler la restitution des éléments minéraux, la fourniture de carbone, l’intensité de la couverture du sol, l’effet sur la structure et la biodiversité. La figure 1 donne les résultats annuels de biomasse des parties aériennes obtenus sur les différents essais. Cette biomasse varie suivant les années et les parcelles, avec une valeur moyenne inférieure à 1 t/ha (400 kg MS/ha en prenant en compte tous les essais et toutes les années).

Biomasse produite par l’engrais vert

La quantité de biomasse produite par l’engrais est un des indicateurs principaux de la réussite de la pratique car de là vont découler la restitution des éléments minéraux, la fourniture de carbone, l’intensité de la couverture du sol, l’effet sur la structure et la biodiversité. La figure 1 donne les résultats annuels de biomasse des parties aériennes obtenus sur les différents essais. Cette biomasse varie suivant les années et les parcelles, avec une valeur moyenne inférieure à 1 t/ha (400 kg MS/ha en prenant en compte tous les essais et toutes les années).

Figure 1 : Biomasse des engrais verts en fonction des parcelles et des années (kg MS/ha)

Ces grandes variations s’expliquent, d’une part, par des dates de semis différentes, en lien avec la disponibilité en temps. Les années précoces, les semis sont réalisés plus tôt (septembre-début octobre) et ils ont plus de temps pour se développer avant l’hiver. La biomasse est alors plus importante (2016, 2018, 2019, 2021). Les années où le semis est réalisé très tardivement (fin octobre-début novembre), du fait d’une année plus tardive et de l’attente de conditions propices au semis (sol suffisamment humide mais non détrempé), la biomasse est très faible (2017, 2022).

Ces variations s’expliquent, d’autre part, par la date de destruction. Une destruction précoce, comme en 2016 (au débourrement), laisse moins de temps au couvert pour se développer, sachant que la période avril-mai est la plus propice pour augmenter la biomasse (en lien avec les températures supérieures). Les destructions sur les autres parcelles ou les autres années ont été réalisées en mai, de façon à permettre ce développement.

Dans le cas de la parcelle de St Etienne, la féverole et les mélanges ont toujours eu du mal à se développer, même si le semis a toujours levé correctement. Les mesures n’ont donc été réalisées que les deux premières années.

Dynamique de libération de l’azote par l’engrais vert

Des mesures d’azote minéral du sol ont été réalisées à différentes dates à partir de la destruction du couvert pour suivre son évolution en fonction des modalités. La différence avec le témoin (sans engrais verts) permet de renseigner sur la libération d’azote minéral par l’engrais vert détruit (lié à la minéralisation de l’azote organique de ce couvert). La figure 2 permet de donner des exemples sur les 2 types de sol étudiés.

Figure 2 : Evolution de l’azote minéral du sol (kg N/ha) sur 0-30 cm – Liergues 2016 et 2018 (à gauche) – Odenas 2019 (à droite)
Les flèches indiquent le stade floraison

Sur la parcelle de Liergues (figure 2, à gauche), la destruction du couvert réalisé en 2016 vers le débourrement induit une libération d’azote minéral avant le pic d’absorption d’azote par la vigne (de la floraison au stade petits pois). L’azote libéré est alors peu absorbé par la vigne et est lixivié. En 2018, la destruction un peu avant la floraison permet une meilleure absorption par la vigne du fait d’une meilleure adéquation entre libération et période d’assimilation par la vigne. On retrouve ce résultat sur la parcelle d’Odenas (figure 2, à droite).

La quantité d’azote libéré par l’engrais vert reste limitée : une dizaine de kg/ha au maximum sur les deux parcelles. Elle est bien entendu fonction de la biomasse produite ainsi que du taux de légumineuses présentes dans le couvert (cas du mélange B par rapport au mélange A sur la parcelle d’Odenas : respectivement 55 % et 19 %). Elle est également sous l’action des conditions météorologiques (température et humidité du sol) survenues après la destruction.

Effets sur la vigne

Les effets sur la vigne ont été suivis au niveau de :

– la nutrition azotée : utilisation du Dualex, en particulier suivi du NBI (Nitrogen Balance Index), qui est un indicateur de cette nutrition azotée,
– les bois de taille qui permettent d’estimer la vigueur de la vigne,
– les rendements à la vendange,
– la qualité des moûts : en particulier la teneur en azote assimilable qui donne une idée de la fermentescibilité des moûts.

Nutrition azotée

Un suivi a été réalisé de 2019 à 2022 sur la parcelle de Liergues semée avec les mélanges. La figure 3 donne les valeurs de NBI obtenues aux différents stades de développement de la vigne pour les différentes modalités et les différentes années. Même si les différences ne sont pas toujours significatives, le NBI tend à être supérieur sur les mélanges d’engrais verts, plus particulièrement pour le mélange B, à la fermeture de la grappe et la mi-véraison, ce qui signifie une meilleure nutrition azotée de la vigne avec les engrais verts.

Figure 3 : Suivi du NBI (Nitrogen Balance Index) – Liergues

Bois de taille

Dans la plupart des cas (parcelle x année), il n’y a pas de différence entre le témoin et les modalités engrais verts. Seul le mélange B sur Liergues en 2018 montre une différence avec le témoin (figure 4).

Figure 4 : Poids de bois de taille (g/cep) – Liergues Les étoiles rouges indiquent une différence significative au seuil de 5 %

Rendements

Il en va de même pour les rendements où les différences sont rares. Là encore, c’est sur la parcelle de Liergues que des différences sont mis en évidence : le poids de vendange a tendance à être supérieur pour le mélange B, l’écart étant significatif en 2018 et 2019 (figure 5).

Figure 5 : Rendement (kg/cep) – Liergues Les étoiles rouges indiquent une différence significative au seuil de 5 %

Teneur en azote assimilable des moûts

Sur Liergues, les teneurs des différentes formes d’azote assimilable sont supérieures sur les 2 mélanges en 2019 (figure 6). C’est également le cas les années suivantes mais avec seulement une différence significative en 2021 sur l’azote ammoniacal entre le mélange B et le Témoin. Cette tendance est également observable à Odenas mais de façon moins nette.

Figure 6 : Teneur en azote assimilable des moûts (mg/l) – Liergues

A part ces écarts sur l’azote assimilable et une acidité un peu plus élevée avec le mélange B, la qualité des baies est comparable sur les 3 modalités.

Conclusions

Ces années d’expérimentation permettent de tirer de nombreux enseignements ou de confirmer certains points concernant l’utilisation des engrais verts. Elles mettent en évidence la variabilité de la biomasse fournie d’une année sur l’autre, ce paramètre variant en fonction des dates de semis, de destruction et des conditions météorologiques : au mieux 3 t/ha de MS avec un semis un inter-rang sur deux mais avec une moyenne autour de 400 kg/ha de MS. Le semis ne doit pas être trop tardif (pas plus tard que mi-octobre/fin octobre) pour bien s’implanter. La date de destruction ne doit pas être trop précoce de façon, d’une part, à former une biomasse suffisamment importante et, d’autre part, à ce que l’azote soit libéré au bon moment pour la vigne (à partir de la floraison) : une destruction quelques semaines avant la floraison (mois de mai) semble un bon compromis. Une destruction tardive provoque l’augmentation du rapport C/N, ce qui est préjudiciable à la proportion d’azote minéralisé et donc à la quantité d’azote libéré pour la vigne. Ces recommandations sont valables si l’objectif du couvert est d’apporter de l’azote pour la vigne, ce qui était recherché dans ces essais, mais peuvent varier en fonction de la destination du couvert. Les conditions météorologiques (essentiellement les pluies) sont importantes au printemps de façon que le couvert puisse se développer et qu’après destruction, la minéralisation se fasse correctement. Les semis ont en général été réussis même si leur développement avant l’hiver peut être assez faible.

La teneur en azote des engrais verts peut varier, en particulier en fonction des espèces : augmentation de la teneur avec la proportion de légumineuses. Ces quantités restent toutefois modestes dans tous les essais : en général une dizaine de kg/ha.

Les effets sur la vigne sont par conséquent faibles : petite tendance à améliorer la nutrition azotée, le rendement et la teneur en azote des baies. Mais ces résultats sont loin d’être généralisés sur tous les essais et demandent à être confirmer, les écarts restant faibles.

Une solution pour impacter davantage la vigne (mais également la qualité des sols) est d’augmenter la biomasse produite en augmentant la surface semée et en passant, par exemple, à un semis tous les inter-rangs. Cette option est en cours d’étude sur une parcelle en Beaujolais.

Il faut donc voir l’utilisation de cette technique des engrais verts sur le long terme. D’autres paramètres ont été suivis (structure du sol, biologie du sol par exemple) et donnent des résultats intéressants. D’autres mériteraient de l’être (stockage carbone par exemple) sur une longue durée. Le coût économique, relativement modique, devrait être mis en confrontation avec tous les avantages que peut procurer cette technique mais qui restent à chiffrer.

Auteur : Jean-Yves Cahurel (IFV-SICAREX Beaujolais)

Cet article est une synthèse du compte rendu détaillé, disponible sur l’extranet d’Inter-Beaujolais.

Accéder à la synthèse complète