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Quelques clés d’élaboration des vins rouges fruités

Vin fruité, vin tendance ? Cela fait déjà quatre ou cinq ans que les importateurs demandent des vins plus fruités et moins boisés. Nous vous proposons quelques clés d’élaboration de vins rouges fruités.

Qu’est-ce qu’un vin rouge fruité ?

Si le terme fruité est très utilisé dans la description sensorielle des vins et de nombreux autres produits alimentaires, on s’aperçoit vite dans la pratique que ce terme est souvent éloigné de la description d’odeur associée au fruit. Par exemple, c’est le cas de certains vins où le terme fruité est cité alors que le produit en question semble plus se caractériser par des notes épicées ou florales. En fait, le terme fruité semble être utilisé plus pour décrire une expression aromatique jugée positive et intense en opposition au caractère boisé. Dans la pratique un vin fruité se caractérise par une couleur vive, un nez aromatique, une bouche souple et fraîche avec des tannins fondus.

Quelles sont les différentes nuances de fruité dans les vins rouges ?

Depuis quelques années, le fruité des vins est rationnalisé en 5 classes fonctionnant en continuité. Des caractères liés à d’autres éléments que les fruits, mais qui y sont associés dans les vins, ont été intégrés :

  • fruité végétal : bourgeon de cassis, feuille de fruitier, poivron, haricot. Prédominance de pyrazines le plus souvent,
  • fruité frais : cassis frais, fruit juste mûr, acidulé, pamplemousse, bonbon acidulé. Prédominance des thiols et de certains esters fermentaires,
  • fruité mûr : confiture de cassis, confiture, épice, floral (violette, rose). Prédominance terpénique,
  • fruité surmûr : liqueur de cassis, fruit à l’eau de vie, pruneau, fruit sec, cacao,
  • fruité dégradé : liqueur de cassis oxydée, fraise écrasée, fruit passé

Quels sont les composés qui influent sur la perception fruitée ?

Certaines caractéristiques de constitution des vins ou la présence de caractères liés à des déviances technologiques influent sur la perception du fruit, et cela de plusieurs façons :

  • Effet inhibant du fruit : c’est le cas des tanins de certains défauts de contamination comme les chloroanisols qui ont un effet dépressif sur l’expression fruitée,
  • Effet masquant : certains composés en petite quantité perturbent l’expression du fruit mais en quantité supérieure le masque. C’est le cas de l’acidité volatile, des phénols volatils (contamination par Brettanomyces), de certains arômes fermentaires et boisés, de certaines amines biogènes produites lors d’une fermentation malolactique mal maîtrisée,
  • Effet exhausteur du fruit : certains composés non aromatiques peuvent augmenter l’expression fruitée. C’est le cas de l’acidité, du sucre et de l’alcool jusqu’à une certaine concentration.

Quelle parcelle choisir et quelle maturité choisir pour élaborer un vin rouge fruité ?

Pour élaborer des vins rouges fruités, l’obtention au vignoble d’un rapport feuilles/fruits d’au-moins 1.2 m2/kg est nécessaire afin d’éviter tout phénomène de dilution. Avec des rapports feuilles/fruits trop élevés (> 1,8 m2/kg), on obtient des raisins plus concentrés, où la richesse en polyphénols et en tannins peut compromettre le potentiel aromatique. Il est préférable de récolter des raisins en très légère sous-maturité (profil fruit frais) que des raisins trop mûrs, la maturité (profil fruit mûr) étant l’objectif à atteindre. On cherche ainsi des raisins tendres, des pépins mûrs avec peu d’amertume. L’état sanitaire doit être bon afin d’obtenir des couleurs vives et des arômes fruités nets.

Quelles sont les techniques viticoles ayant un impact sur le fruité ?

D’une manière générale, toutes les techniques viticoles permettant la pénétration du soleil dans la végétation et l’éclairement des grappes, favorisent la dégradation des pyrazines et améliore l’expression fruitée. C’est le cas de :

  • l’effeuillage : les études réalisées par l’IFV Sud-Ouest ont montré qu’un effeuillage précoce (à la nouaison) avait globalement le plus d’impacts favorables. Lorsque l’on s’intéresse uniquement au caractère fruité, un effeuillage tardif (à la mi-véraison) semble préférable,
  • ébourgeonnage, éclaircissage, élimination des entre-coeurs

Quelles étapes préfermentaires ?

Il est préférable d’érafler la vendange afin d’éviter les notes herbacées et un déséquilibre du rapport tannins/anthocyanes. Le sulfitage doit être raisonné en fonction de la maturité, de l’état sanitaire, de la température et de l’hygiène de chai. Les molécules responsables des arômes de fruit frais étant très sensibles à l’oxydation, il peut par conséquent être intéressant de vendanger tôt le matin lorsqu’il fait frais pour limiter les processus oxydatifs et d’inerter la cuve avant remplissage.

Comment conduire la fermentation alcoolique et la macération ?

La macération doit permettre une bonne expression des arômes (migration et révélation à partir des précurseurs) et de la couleur tout en limitant celles des tannins. Les points importants sont :

  • l’utilisation de levures de spécialité pour la production de vin fruité. Certaines levures de type « primeur » produisent des quantités importantes d’esters fermentaires au détriment des arômes variétaux. Le levurage doit être réalisé avec soin afin de raccourcir les phases de latence,
  • la température de fermentation. Elle doit être adaptée en fonction du cépage et du produit recherché. Il vaut mieux privilégier des températures de l’ordre de 20 à 24°C, afin d’éviter dans la cuve des remous importants à l’origine de perte aromatique ainsi que des phénomènes d’évaporation,
  • macération courte de 4 à 5 jours. L’extraction des arômes et des anthocyanes se fera de manière précoce, dès soulèvement du chapeau. Les remontages doivent être doux, il vaut mieux privilégier des temps plus courts et des cadences rapprochées sans dépasser 1 volume/cuve/jour. Il n’est pas nécessaire de réaliser tous les remontages avec aération. Cette pratique pourrait provoquer la perte d’une partie des arômes. 2 à 4 remontages avec aération sur l’ensemble de la fermentation sont en général suffisants pour apporter l’oxygène nécessaire au bon déroulement de la fermentation,
  • décuvage précoce pour limiter l’extraction des tannins couplée avec une fin de fermentation alcoolique en phase liquide à 18-20°C,
  • les jus de presse peuvent être incorporés en fonction de la dégustation,
  • les soutirages post-fermentation alcoolique doivent intervenir précocement, pour éliminer les lies grossières, conserver la fraîcheur et les arômes de fruit sans notes de réduction. Les soutirages favorisent souvent le départ en fermentation malolactique et permettent ainsi de diminuer les phases de latence.

Quels sont les intrants utilisés en vinification ou en élevage qui peuvent avoir un impact sur la composante fruitée ?

  • Les enzymes : un enzymage judicieux peut permettre de mieux gérer l’extraction et de favoriser la diffusion des précurseurs aromatiques présents dans la pellicule, tout en diminuant le temps de macération,
  • Les tannins : l’emploi de tannins œnologiques peut permettre de raccourcir la cuvaison, de réaliser une partie plus importante de la fermentation en phase liquide et donc d’obtenir plus facilement des arômes fruités,
  • Les copeaux de bois frais renforce le caractère fruité tout en apportant rondeur et sucrosité,
  • L’emploi de bactéries lactiques en co-inoculation ou après fermentation alcoolique peut permettre un enclenchement rapide de la fermentation malolactique et limiter les déviances organoleptiques (Brettanomyces, amines biogènes),
  • L’azote ammoniacal utilisé à des doses de 15 à 30 g/hl, permet de limiter le risque d’apparition de goût de réduit.

Quelles sont les techniques de vinification spéciales pour révéler le potentiel fruité ?

  • La macération préfermentaire à froid ou MPF : cette technique consiste à maintenir la vendange pendant 3 à 5 jours à des températures comprises entre 8 et 15°C. Réel impact sur le fruit ? Entre partisan et détracteur, cette technique divise. Elle permet la diffusion sélective de certains composés hydrosolubles du raisin comme les pigments et les arômes, alors qu’elle favorise moins la diffusion d’autres composés comme les tannins. Les composés à saveur herbacée sont très hydrosolubles, et la MPF doit être pratiquée uniquement sur des raisins mûrs. Un levurage précoce est conseillé afin d’éviter le développement des levu-res indigènes,
  • Les procédés d’extraction par le froid comme la cryo-macération dynamique (procédé IMECA) ou l’extraction à l’aide de glace carbonique. Le traitement au froid, en modifiant la perméabilité cellulaire des cellules de l’épiderme et l’hypoderme, faciliterait l’extraction des composés utiles. Le procédé de cryo-macération dynamique consiste à refroidir à -3°C les pellicules après les avoir séparées du moût,
  • La vinification par macération semi-carbonique est une technique exploitant les phénomènes qui se déroulent spontanément dans les baies intactes de raisin non foulé, lorsque celles-ci sont placées en anaérobiose. Les arômes produits lors de la fermentation intra-cellulaire sont riches, intenses et très caractéristiques de cette technique. Elle nécessite obligatoirement une récolte manuelle ou une machine à vendanger bien réglée,
  • La thermovinification, la flash détente ou la thermo-détente : ces procédés consistent à traiter thermiquement la vendange. La thermovinification consiste à chauffer à 70°C-80°C la vendange pendant 10 à 30 min. Elle permet l’obtention de vins plutôt fruités ou structurés en fonction du choix technologique (pressurage direct ou macération). Si l’on privilégie la voie fermentaire en phase liquide, on obtiendra plus facilement des vins fruités, aromatiques et peu tanniques. Le procédé flash détente consiste à envoyer de la vendange égouttée, éraflée et portée à une température élevée (>85°C) dans une enceinte où règne un vide poussé. Le jus à cette pression va être vaporisé instantanément, provoquant ainsi la déstructuration de la pellicule des grains de raisins. Ce procédé permet d’augmenter grande-ment l’extraction des composés phénoliques et des tannins.

Comment gérer l’élevage et la mise en bouteille ?

  • Les arômes de fruits frais étant très sensibles à l’oxydation, il faut veiller à ne pas dissoudre trop d’oxygène à chaque transfert et à chaque opération. Le suivi de l’O2 dissous peut présenter un réel intérêt sur ce type de produit. Il faut notamment faire attention à la filtration (privilégier la filtration tangentielle si possible), à la stabilisation tartrique qui peut dissoudre beaucoup d’oxygène,
  • La température de conservation doit être régulée en période chaude (entre 12°C et 18°C), afin de conserver les qualités aromatiques du vin. Il faut également veiller à maintenir des taux de CO2 importants jusqu’à la mise (>1000 mg/l),
  • La mise en bouteille doit être précoce (maximum 12 mois après l’élaboration). Suivant les marchés, le bouchage à vis accompagné d’un inertage à l’azote lors du tirage peut présenter un intérêt,
  • Une légère édulcoration (+ 2-3 g/l de sucre), si la réglementation le permet peut, par son effet exhausteur du fruit, être intéressante. Elle doit obligatoirement être suivie d’une filtration serrée (0.65 microns)