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Levures indigènes et maîtrise des fermentations spontanées

La fermentation spontanée est en général assurée par plusieurs souches de levures non choisies, dites indigènes. Elles peuvent provenir des raisins, du matériel ou de l’environnement du chai.

Quelles sont les levures indigènes naturellement présentes sur le raisin et dans le moût en fermentation ?

A la vigne, les populations de levures sont faibles et concurrencées par les moisissures. La plupart des espèces sont oxydatives, c’est à dire qu’elles ne transforment pas, ou très peu, les sucres contenus dans le raisin en alcool. On ne trouve que très peu de levures fermentaires de type Saccharomyces cerevisiae sur la cuticule des raisins. Cette microflore levurienne varie de manière importante d’une parcelle à l’autre en relation probable avec les pratiques culturales et la climatologie du millésime. Dans le moût en fermentation, on ne retrouve pas systématiquement les levures issues du raisin. Le chai se caractérise par une atmosphère chargée en levures fermentaires et oxydatives.

  Majoritaires Autres

Raisin

Aureobsidium pullulans Kloeckera apiculata
Candida famata Metschnikowia pulcherrima
Brettanomyces
autres levures peu ou non fermentaires (Rhodotorula…) Saccharomyces sp.
Moût en fermentation Saccharomyces cerevisiae Kloeckera apiculata, javanica, apis
Metschnikowia pulcherrima
Torulaspora delbrueckii
Saccharomyces uvarum Saccharomyces sp.
Schizosaccharomyces sp.
Candida famata

Quelles sont les levures dominantes au cours de la fermentation spontanée ?

Contrairement à ce que l’on a longtemps pensé, la fermentation spontanée n’est pas une « course de relais ». On observe un nombre important de souches différentes (5 à 20), qui varient au cours de la fermentation et d’une année à l’autre. Les souches minoritaires sont rarement présentes plus d’un jour ou deux et en faible proportion. De ce « pool », émergent progressivement une ou deux souches dominantes. L’évolution des caractéristiques analytiques globales des vins obtenus par fermentation spontanée suit celle de la proportion de la souche dominante, notamment en ce qui concerne le degré alcoolique. Immédiatement après débourbage, se développent différentes espèces de levures apiculées et oxydatives ne produisant que très peu d’alcool : Kloeckera, Candida, Metschnikowia…Après quelques jours, ces espèces sont supplantées par le genre Saccharomyces qui assure la plus grande partie de la fermentation alcoolique. Les espèces oxydatives peuvent cependant réapparaître de manière sporadique à l’occasion de diverses opérations de vinification (remontage, aération, chaptalisation…). En revanche, les souches minoritaires ne sont pas présentes de manière suffisamment significative, tant en durée, qu’en proportion, pour imprimer concrètement leur caractéristiques organoleptiques.

Les vins élaborés par fermentations spontanées sont-ils plus complexes ?

Les travaux menés par l’IFV depuis plus de 30 ans, notamment au sein du Pôle Val de Loire, n’ont pas permis de relier la diversité levurienne à la complexité globale d’un vin, ni l’apparition de telle ou telle souche à celle de tel ou tel composé. Le seul impact mesuré de l’augmentation du nombre de Saccharomyces différentes est l’allongement de la durée de la fermentation vraisemblablement par concurrence entre les souches pour les substrats glucidiques. En raison du développement précoce de Kloeckera apiculata, la fermentation spontanée s’accompagne d’une augmentation de l’acidité volatile (+86% en moyenne) et de la teneur en acétate d’éthyle (+908% en moyenne) par rapport à une fermentation induite. Les autres risques et défauts associés aux fermentations spontanées sont la production importante de SO2, l’apparition de goût de réduit, la désacidification, l’apparition de mauvais goûts (Brettanomyces), la production importante d’éthanal et la formation d’écume. Sans être obligatoirement néfaste, cela peut être handicapant, tant au niveau de l’agrément qu’à celui de la commercialisation. Si les fermentations spontanées peuvent souvent se dérouler sans problème, dans environ 30% des cas on assiste à des fins difficiles et languissantes. Ces situations sont difficiles à corriger et ont souvent des conséquences négatives sur le potentiel aromatique des vins. Contrairement à l’inoculation des LSA, l’utilisation des levains indigènes ne permet pas d’obtenir une bonne reproductibilité de la flore des moûts inoculés et donc une constance de qualité dans les vins. La fermentation spontanée n’est bien entendu pas responsable de tous les problèmes susceptibles de se présenter, mais constitue un risque qu’il convient de bien calculer et de prendre en connaissance de cause.

Quels sont les points clés pour réussir une fermentation spontanée à l’aide de levures indigènes ?

La réussite de fermentations spontanées nécessite la mise en œuvre et la maîtrise totale de moyens appropriés :

  • choisir une vendange de qualité sanitaire indiscutable,
  • maîtriser les triturations de la vendange et les délais avant encuvage,
  • rechercher un niveau d’hygiène élevé des locaux et du matériel de vinification,
  • utiliser du matériel spécifique pour éviter les contaminations et autres pollutions. Pompes, tuyaux et drapeaux sont des maillons sensibles à cet égard,
  • retenir de préférence les premiers lots de vendanges récoltés, la pression microbienne étant moins forte dans les locaux et sur le matériel œnologique,
  • adapter le sulfitage (3 à 5 g/hl) pour sélectionner les souches de levures les plus performantes.

Pour la vinification en blanc, après débourbage et en l’absence de l’introduction d’un pied de cuve, le temps de latence avant départ en fermentation peut parfois atteindre plusieurs jours.

Comment réussir son pied de cuve ?

Les expérimentations menées nous ont permis de dégager un certains nombres de règles à respecter rigoureusement pour s’assurer la mise en œuvre d’un pied de cuve :

Règle n°1 : Choix de la vendange

  • Choisir une vendange de qualité sanitaire indiscutable
  • Vendanger 6-7 jours avant la date de la vendange l’équivalent de 3% du volume de la/les cuve(s) à ensemencer

Règle n°2 : Mise en œuvre et maîtrise du Pied de Cuve

  • Pressurage sans débourbage, sulfitage à 2-3 g/hL
  • Nutrition azotée (objectif : 200 mg/L azote assimilable)
  • Maintien de la température autour de 25°C et aération
  • Suivi quotidienne par prise de densité/température et dégustation

Règle n°3 : Utilisation du Pied de Cuve

  • Utiliser uniquement un pied de cuve ayant une perte de densité rapide (-10 à -15 points/jour) et sans défaut organoleptique
  • Incorporation entre 1050 et 1020

Ce type de protocole ne peut en rien garantir la réussite à 100% des fermentations car la nature, le niveau des populations, l’état physiologique et les capacités fermentaires des flores levuriennes en jeu sont imprévisibles et incertaines.

Ce qu’il faut retenir :

  • La réalisation d’un pied de cuve représente un réel intérêt pour l’utilisation de la flore indigène en fermentation alcoolique, si celui-ci est contrôlé et maîtrisé…mais ne possède pas l’aspect sécurisant et reproductible de l’utilisation des LSA,
  • La mise en œuvre d’un levain optimisé permet de réduire le temps de latence avant le départ en fermentation des moûts, notamment vis-à-vis de la fermentation spontané,
  • Le mode de préparation du levain (gestion des paramètres clés) impacte significativement son efficacité, mais plus sensiblement la composition de la flore fermentaire présente.

Comment faire cohabiter dans un même chai fermentations spontanées et dirigées ?

Dans certaines structures, où le vinificateur conduit dans un même local des fermentations dirigées (avec ajout de pied de cuve ou de levures sèches actives) et spontanées, les risques de contamination deviennent très élevées. Afin de réduire au maximum les possibilités de contaminations dans les locaux de cuverie, quelques règles de base doivent être mises en œuvres :

  • disposer si possible d’un local spécifique pour conduire séparément fermentations spontanées et dirigées,
  • utiliser également dans chaque local des pompes, des tuyaux et du petit matériel (soutirages, chaptalisation ou enrichissement) spécifiques,
  • pour les maîtrises thermiques, envisager un équipement spécifique par cuve

La réussite du levurage est conditionnée par l’utilisation des levains lorsque les cellules sont dans un état physiologique favorable à leur développement. L’idéal est de réaliser l’ensemencement vers la fin du stade de multiplication afin de concilier état d’activité avec densité cellulaire suffisante. Ces conditions sont obtenues en général 24 à 48 heures après le premier dégagement gazeux suivant l’ensemencement.