L’ampélographie moléculaire
Les techniques modernes de génotypage et d’analyse de l’ADN nucléaire et chloroplastique ont révolutionné l’ampélographie. Elles permettent d’étudier les relations phylogénétiques entre espèces, de différencier les grands groupes au sein de l’espèce Vitis vinifera et de distinguer les variétés. Elles rendent également possible la recherche de parentés entre cépages, et l’élaboration de véritables arbres généalogiques qui ont mis en lumière le rôle central de certains grands géniteurs dans les encépagements autochtones.
Qu’est-ce que l’ampélographie moléculaire ?
A quelles techniques l’ampélographie moléculaire fait-elle appel ?
L’ampélographie moléculaire fait appel à l’analyse de plusieurs types de marqueurs sur l’ADN, qui permettent de différencier les individus avec certitude :
- les microsatellites (nucléaires et chloroplastiques) ou SSR (Simple Sequence Repeats) : Il s’agit de courtes séquences d’ADN formées de la répétition (jusqu’à 20 à 30 fois) d’unités de 2,3 ou 4 bases (par exemple C-A ou G-A-T).
- les indels qui sont des mutations d’insertion ou de délétion de courtes séquences d’ADN
- les éléments transposables ou éléments mobiles parfois aussi nommés «gènes sauteurs». Leurs déplacements peuvent être activés par les stress et certains facteurs environnementaux. La mobilité de ces éléments est une source de mutations, donc de variabilité génétique et d’évolution. On distingue les rétrotransposons qui se répandent selon un mode «copier-coller» et les transposons qui se déplacent par «couper-coller»
- les polymorphismes de nucléotides uniques ou SNP (Single Nucleotid Polymorphism) qui ne concernent qu’un seul nucléotide. Il s’agit d’un changement d’une base par une autre. On distingue les transitions qui sont des substitutions de nucléotides au sein d’une même famille (purine ou pyrimidine) et les transversions, changements d’une purine en une pyrimidine ou inversement.
Qu’a permis d’apprendre l’ampélographie moléculaire sur les liens de parenté entre cépages ?
L’ampélographie moléculaire permet-elle de distinguer les clones ?
Aujourd’hui, sauf quelques cas particuliers (voir plus bas), l’ampélographie moléculaire ne permet pas de distinguer les clones d’un même cépage, car il existe très peu de différence intra-variétale au niveau des micro-satellites. Cependant, les nouvelles méthodes de séquençage de l’ADN à très haut débit permettent maintenant d’envisager le reséquençage du génome de différents individus. Cette approche a été choisie pour essayer de détecter les différences génétiques pouvant exister entre clones. Au cours d’une thèse menée par Grégory Carrier dans le cadre de l’UMT Géno-Vigne® et encadrée par l’IFV, Montpellier SupAgro et l’INRA, trois clones de Pinot Noir ont été analysés. Les résultats ont permis de mettre en évidence le rôle prépondérant des éléments mobiles (rétro-transposons) dans le polymorphisme génétique détecté entre ces clones. Sur cette base, une analyse préliminaire de diversité à l’aide de marqueurs SSAP a permis d’obtenir des profils uniques pour tous les clones de Pinot Noir en collection. Cependant, une sélection de ces marqueurs et une validation de leur stabilité et de leur répétabilité doivent encore être réalisées avant de pouvoir envisager une identification fiable des différents clones. D’autres travaux ultérieurs ont également permis de progresser dans la voie de l’identification des clones. Aujourd’hui, on sait par exemple caractériser, grâce à un marqueur microsatellite spécifique, la sensibilité ou non des clones de Syrah au dépérissement particulier qui touche ce cépage. Très récemment, des auteurs ont proposé un nouveau set de marqueurs microsatellites susceptibles de déterminer des mutants de couleur au sein d’une même variété, ce que ne permettaient pas les marqueurs développés jusqu’alors (Migliaro & al., 2017).
Qu’est-ce que l’ADN et comment est-il structuré ?
L’acide désoxyribonucléique, ou ADN, est une molécule, présente dans toutes les cellules vivantes, qui renferme l’ensemble des informations nécessaires au développement et au fonctionnement d’un organisme. C’est aussi le support de l’hérédité car il est transmis lors de la reproduction, de manière intégrale ou non. Il porte donc l’information génétique et constitue le génome des êtres vivants. L’ADN détermine la synthèse des protéines, par l’intermédiaire de l’ARN. Cette double hélice est composée de séquences de nucléotides constitués d’un groupe phosphate lié à un sucre, le désoxyribose, lui-même lié à une base azotée. Il existe quatre bases azotées différentes : la cytosine (notée C) et la thymine (notée T) de la famille des pyrimidines, et l’adénine (notée A) et la guanine (notée G) de la famille des purines. Dans les cellules végétales, l’ADN est localisé dans le noyau, dans les chloroplastes et dans les mitochondries. Les chloroplastes sont des organites essentiels qui permettent de capter la lumière à l’origine de la photosynthèse. Les mitochondries sont impliquées dans les processus de fourniture d’énergie à la cellule.
Qu’a permis d’apprendre l’ampélographie moléculaire sur l’origine de la vigne?
Les travaux réalisés entre autres par l’équipe de Jean-Pierre Péros de l’INRA de Montpellier ont permis de mettre en évidence le caractère ancestral des espèces de vigne asiatiques qui seraient à la fois à l’origine de l’espèce européenne Vitis vinifera et des espèces américaines. En ce qui concerne ces dernières, il se serait produit deux événements distincts de dispersion depuis l’Eurasie vers l’Amérique : un événement à l’origine des espèces du centre et de l’Est (Vitis labrusca, Vitis riparia, Vitis rupestris et Vitis berlandieri), l’autre à l’origine des espèces californiennes (Vitis californica). L’analyse des micro-satellites a permis également de différencier les vraies vignes sauvages européennes (Vitis vinifera subsp. sylvestris) appelées aussi lambrusques des variétés cultivées. Au sein de ce compartiment cultivé, ces analyses ont permis de répartir objectivement les variétés en cinq grands groupes géographiques en relation avec leurs aptitudes.
Quels sont les exemples les plus marquants d’identification variétale réussie à l’aide de l’ampélographie moléculaire ?
En 2009, Jean-Michel Boursiquot et Laurent Audeguin du Pôle Matériel Végétal de l’IFV, ont pu mettre en évidence, un faux Albarinho B lors d’une mission en Australie. Depuis de nombreuses années, les viticulteurs locaux croyaient cultiver cette variété originaire de la façade ouest de la péninsule ibérique, mais nos collègues ont rapidement déterminé qu’il s’agissait en fait du Savagnin B. Ce résultat a été confirmé peu de temps après leur retour en France, grâce à l’analyse génétique d’ADN prélevé sur place et après confrontation aux bases de données existantes (IFV, INRAE). Pour l’anecdote, la même histoire s’était déjà produite au Chili près de vingt ans auparavant et bien avant l’utilisation des marqueurs génétiques. La Carmenère N y avait longtemps été confondue par les viticulteurs avec le Merlot N. Dans la région, ces techniques ont permis à l’IFV Sud-Ouest d’identifier toutes les anciennes variétés maintenues dans les conservatoires régionaux, et d’introduire dans les collections des cépages originaux qui n’y figuraient pas tels le Moural N de l’Aveyron, le Bouysselet B de Fronton et d’autres variétés sans dénomination à ce jour.
Auteur : Olivier Yobrégat, ingénieur au Pôle Sud-Ouest de l’IFV