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Élevage des vins en fûts ou barriques de chêne

En Bourgogne, à Bordeaux et dans d’autres régions viticoles, l’élevage des vins de garde en fûts ou barriques de chêne est une tradition toujours respectée. Il constitue une étape essentielle pour l’optimisation de la qualité organoleptique des vins.

Quelles sont les essences de chêne utilisées en tonnellerie et leurs caractéristiques ?

Le chêne est représenté par 250 espèces dans le monde qui sont principalement localisées dans les zones tempérées de l’hémisphère Nord. Hormis le chêne rouge d’Amérique (Quercus rubra) utilisé parfois pour la fabrication de gros contenants mais rarement pour les barriques car il communique des goûts désagréables, 3 essences de chênes sont essentiellement utilisées en tonnellerie :

  • chêne pédonculé (Quercus robur) : son aire stationnaire occupe toute l’Europe depuis la péninsule ibérique jusqu’à l’Oural. En France, il est présent dans les plaines du Sud-Ouest et du Centre, sur la bordure du Massif Central et dans les plaines et les vallées du Nord et de l’Est. Cette espèce, riche en composés phénoliques et en ellagitanins, est pauvre en cis et trans-whiskylactones (noix de coco),
  • chêne rouvre (Quercus petraea) : l’implantation du chêne rouvre s’étend de l’extrême nord de la péninsule ibérique jusqu’à la partie méridionale de la Scandinavie. En France, il est présent dans la moitié Nord jusqu’au Massif Central et dans les Pyrénées Centrales. Cette essence de chêne est pauvre en ellagitanins mais riche en lactones et en eugénol (clou de girofle).
  • chêne blanc d’Amérique du Nord (Quercus alba) : on retrouve cette espèce dans l’Est des USA, dans la région du Midwest (Missouri) et dans le Sud du Québec. La présence de nombreux thylles et sa faible teneur en éllagitanins ralentissent les transferts d’oxygène et les phénomènes d’oxygénation ménagée. Cette essence est très riche en scopolétine, en acide férulique responsables de notes balsamiques dans le vin, en lactones et en eugénol.

Quelles sont les principales étapes du process d’élaboration des fûts ou barriques en tonnellerie ?

Le débitage des merrains : celui peut être réalisé traditionnellement par fendage ou par sciage. Le sciage est plus rapide et entraîne moins de perte de bois (50%) que le fendage (80%). Les douelles sont moins solides et peuvent être plus poreuses à cause du sectionnement des fibres de bois. Le chêne blanc d’Amérique peut être facilement débité par sciage, l’épaisseur des thylles assurant l’étanchéité.

Le séchage des merrains : afin d’être travaillé en tonnellerie, le bois doit être séché afin d’atteindre une humidité d’environ 16%. Ce séchage peut s’effectuer à naturellement à l’air libre ou dans une étuve ventilée. Réalisé à l’air libre, le séchage possède un véritable rôle de maturation du bois et permet d’en diminuer la teneur en composés phénoliques par action de micro-organismes (champignons et bactéries). La présence d’eau et d’oxygène va également favoriser des phénomènes physico-chimiques d’hydrolyses bénéfiques pour la qualité des merrains. La dégradation de la lignine se traduit par l’apparition d’eugénol et de vanilline. Le séchage à l’air libre dure de 24 à 36 mois.

Le cintrage : afin d’être courbé, le bois doit être chauffé au préalable. La source de chaleur utilisé peut être le brûlage de bois de chêne, l’eau chaude ou la vapeur d’eau. L’immersion des douelles avant cintrage permet de dégorger le bois de certains composés à caractères amers.

La chauffe de recuisson ou toastage : cette étape est très importante car elle fait évoluer la composition chimique du bois. Par réaction de Maillard, de nouveaux composés volatils odorants sont formés à caractère grillé/caramel comme le cyclotène, le maltol, le dihydromaltol ou le furanéol. La teneur en d’autres composés présents dans le bois non chauffé (vanilline et eugénol), augmentent sensiblement suite à cette opération. La teneur en whisky-lactone est peu impactée par des chauffes moyennes alors que les fortes chauffes peuvent réduire sa quantité. Cette opération permet également de réduire la quantité d’éllagitanins. Lorsque les fonds ne sont pas brûlés, il est préférable de réaliser un dégorgeage à l’eau.

Comment évolue la composition du vin lors de l’élevage en fûts ou en barriques ?

L’élevage des vins en fûts met en présence le vin, le bois et l’atmosphère ambiante. Au cours de l’élevage en fûts ou en barriques, des phénomènes complexes se produisent :

  • Oxygénation lente et continue dite « ménagée » par la pénétration de l’air par le trou de la bonde, par les joints entre les douelles et à travers le bois. Les travaux de Singleton ont expliqué les mécanismes de formation d’éthanal et de combinaison tannins-anthocyanes via la molécule d’éthanal. Cette combinaison permet une meilleure stabilisation de la couleur. Lors d‘un élevage en barrique neuve, on peut considérer que par an 0.4 mg/L d’O2 sont dissous. 80 % de l’oxygène qui rentrent dans la barrique pénétreraient par le trou de bonde. Dans le cas de barriques âgées, le tartre limitant les échanges, cette valeur dépasse rarement 0.2 mg/L.
  • Dissolution dans le vin de constituants extractibles du bois. Il peut s’agir de polyphénols (acides phénols simples, aldéhydes aromatiques et phénols volatils), de tannins (gallotanins et ellagitanins) ou d’autres composés phénoliques volatils.
  • Augmentation de la teneur en acidité volatile par développement de bactéries acétiques et hydrolyse chimique des groupements acéthylés des hémicelluloses du bois neuf. Cette réaction qui se déroule au cours de l’élevage, peut conduire à une augmentation de l’AV de l’ordre de 0,2 g/l exprimée en H2SO4.

Quels sont les principaux composés odorants apportés par le bois, leurs seuils de perception et les descripteurs associés ?

Famille/origine Composé Descripteur Seuil de perception dans le vin

Lactone

cis-whiskylactone noix de coco 790 μg/l
trans-whiskylactone 67 μg/l
Aldéhydes-phénols vanilline vanille 995 μg/l
méthyl-vanillate vanille 3000 μg/l
éthyl-vanillate vanille 990 μg/l
syringaldéhyde planche 50000 μg/l
Phényls-cétones acétovanillone vanille 1000 μg/l
propiovanillone boisé
syringol épices 1800 μg/l
Phénols eugénol clou de girofle 6 μg/l
gaïacol fumé, brûlé 10 μg/l
4-méthyl-gaïacol fumée, suie
4-éthyl-gaïacol poivre, épice 100 μg/l
4-vinyl-gaïacol oeillet, girofle 1100 μg/l
4-éthyl-phénol cuir, écurie 500 μg/l
4-vinyl-phénol herbes froissées 180 μg/l
phénols encre, phénolées
crésol pharmaceutiques 31-58 μg/l
Composés de chauffe furfural amande grillées 3000 μg/l
méthyl-5-furfural amande amère  
cyclotène pain grillé 3100 μg/l
maltol fumée 11400 μg/l
FA à partir du furfural furfurylthiol café 1 ng/l

Quelles sont les bonnes pratiques d’élevage en fûts ou en barriques ?

Afin d’obtenir de bons résultats, il est primordial pour le vinificateur-éleveur de respecter certaines consignes :

  • dans le cas de fûts neufs, le vin rouge doit être entonné le plus tôt possible. Pour les vins blancs, le remplissage des barriques peut se faire avant départ en fermentation, pendant la fermentation et après chaptalisation éventuelle, ou en fin de fermentation si les moyens de contrôles thermiques des vins en barrique sont limités. Le boisé obtenu est ainsi plus discret, plus fin. Les colloïdes levuriens libérés combinent les composés phénoliques et le vin paraît ainsi moins coloré, moins astringent. Cet effet est renforcé lors d’un élevage sur lies.
  • le bois s’épuise par son utilisation répétée. Cet épuisement est fonction de l’intensité d’utilisation (nombre de soutirages, durée de contact) et du type de vin (couleur, richesses alcoolique et polyphénolique). Au bout de quelques années d’utilisation, le fût devient un simple contenant permettant une encore une faible oxygénation ménagée s’il est correctement entretenu. Il est raisonnable d’envisager une utilisation du même fût pendant 5 années, en complément de fûts neufs et d’autres barriques plus récentes.
  • le soutirage permet d’éliminer les lies les plus grossières et est l’occasion de laver l’intérieur de la barrique. Sa fréquence dépend du vin et de la stratégie d’élevage. Traditionnellement dans le bordelais, un soutirage est réalisé tous les 3 mois.
  • la position des barriques en bonde sur le dessus est le plus exigeant en main-d’oeuvre et impose des ouillages fréquents (environ tous les mois). Il permet un accès permanent aux fûts pour prélever des échantillons (dégustations et analyses). Le positionnement bonde de côté entraîne une oxydation ménagée plus douce mais pose un problème pour accéder au vin.
  • les risques microbiologiques étant supérieurs lors d’un élevage en fût (piqure acétique, Brettanomyces), l’hygiène intérieur et extérieur des fûts est un facteur clé. La température du chai à barriques doit rester fraiche et constante toute l’année (<18°C). La teneur en SO2 libre recherché doit être d’au moins de 25-30 mg/l.
  • afin d’obtenir les effets positifs du bois autres que l’aromatisation, une durée minimum d’élevage de 6 mois est à recommander. La durée, qui varie essentiellement en fonction du cépage, doit être également raisonnée en intégrant des contraintes liées à la rotation du parc à barriques et impératifs commerciaux. Traditionnellement, l’élevage en barrique dure 18 mois à Bordeaux contre 10 mois environ en Bourgogne.

Quelles sont les principales origines géographiques disponibles en tonnellerie ?

L’IFV de Beaune a mis en place au début des années 1990, des travaux expérimentaux afin de classifier les chênes de tonnellerie pour l’élevage en barriques des vins de Bourgogne. Ces essais ont montré que pour les vins blancs, il était préférable de choisir des arbres de l’espèce botanique « rouvre » des origines Bitche (Moselle), Darnet (Limousin), et Saint Palais (Cher). En ce qui concerne les vins rouges, les chênes de la forêt de Cîteaux (Bourgogne) et de Darney (Vosges) ont donné de meilleurs résultats que ceux de Bertranges (Bourgogne) et de Tronçais (Allier). Le descriptif des boisés obtenu au cours de l’étude réalisée peut être résumé ainsi :

  • Bourgogne (Bertranges) : vanille, grillé, noisette, café, fumé, cacao, évolution avec réglisse et épices douces, résine, sécheresse en fin de bouche pour gros grain (bois vert)
  • Bourgogne (Cîteaux) : rouvre (sous-bois, vanille, noix de coco, café, réglisse, évolution avec des notes de cuir, résine, tabac, cacao, fin de bouche parfois amère) et pédonculé (fumée, humus, épices, clou de girofle, évolution sans finesse vers la sciure, le brûlé, tanins acerbes)
  • Vosges (Darney) : torrefaction, vanille, sous-bois, épices (amandes amères), évolution des caractères poivré, de bois brûlés
  • Tronçais (Allier) : pain grillé, torrefaction, brûlé, moka, évolution vers réglisse, clou de girofle, noix de coco, poivre
  • Fontainebleau : café, réglisse, épices, évolution vers brûlé, produits pétroliers, planche, amertume et sécheresse finale
  • Saint Palais : moka, café, amande grillée, réglisee, poivre, évolution vers fumée, poivre
  • Limousin : pain grillé, torréfaction, clou de girofle, noisette, évolution vers poivre, humus, brûlé, sécheresse finale, amertume
  • Jupilles : vanille, évolue vers le café torréfié, pain grillé
  • Bitche : pain grillé, café torréfié, fumé, évolue vers des notes épicées
  • Sud-Ouest : noisette, pain grillé (notes intenses au début d’élevage qui s’estompent), évolution vers sécheresse

Quel est le coût d’achat d’un fût ou d’une barrique ?

Le prix d’achat d’une barrique neuve de chêne français varie de 560 € à 860 € HT en fonction des tonneliers et du type de barriques (« transport » ou « château »). Le chêne américain est meilleur marché puisqu’une barrique revient à 360-475 € HT. Très proche du chêne français en termes de caractéristique et de tarif, les chênes russes et hongrois connaissent un engouement certain. Les prix présentés sont issus du Coût des Fournitures en Viticulture et Œnologie 2015.