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Quelques clés d’élaboration des vins rosés

Le marché des vins rosés se développe de plus en plus, mais les producteurs manquent de références techniques pour les accompagner dans cette diversification. Cette fiche se propose de donner quelques clés d’élaboration de ces vins souvent qualifiés de technologiques.

Saignée ou pressurage direct ?

Le premier choix qui s’offre au vinificateur n’est pas le moindre, puisqu’il pose incontestablement la question de la définition produit, du style de rosé que l’on souhaite élaborer et des objectifs. Elabore-t-on du rosé pour concentrer une cuvée de rouge ou pour élaborer un produit en tant que tel ?

  • Dans le cas d’une saignée, la maturité du rosé correspondra à une maturité de raisins rouges, avec recherche d’une maturité phénolique plus ou moins poussée. Dans ce cas de figure, l’extraction des jus ne nécessite pas de matériel adapté et s’effectue sans pressurage. Rosé assez lourd, vineux mais avec un potentiel de garde supérieur,
  • Dans le cas d’un rosé de pressurage (avec ou non une phase de macération de quelques heures), on pourra rechercher une légère sous-maturité, gage de vivacité et de fraîcheur aromatique. Dans ce cas de figure, il est préférable de disposer de matériel de pressurage adapté de type pneumatique. Rosé aromatique, frais à consommer rapidement.

Quelle parcelle choisir pour élaborer du rosé ?

Pour élaborer des rosés de pressurage direct frais et fruités, il n’est pas nécessaire d’avoir des vignes possédant un rapport feuilles/fruits supérieur à 1.2 m2/kg. Avec des rapports feuilles/fruits élevés, on obtient des vins plus concentrés, où la richesse en polyphénols peut compromettre le potentiel aromatique.

Quelle maturité rechercher pour élaborer du rosé ?

Dans le cas des rosés de saignée, le choix de la maturité est guidée par les contraintes d’élaboration de vins rouges. Pour les rosés de pressurage direct, le choix est plus libre : les essais réalisés par l’IFV Sud-ouest sur Côt, Duras, Négrette et Marselan en 2005 et en 2006 ont montré qu’il valait mieux privilégier une légère sous-maturité. La première date de récolte est globalement mieux appréciée. Sur des maturités plus poussées, on privilégie le volume en bouche, le gras et on obtient un rosé plus vineux.

Quel itinéraire de vinification adopter pour élaborer du rosé ?

Comme pour les vins blancs, c’est dans les premières heures après la récolte et bien avant le départ en fermentation alcoolique que se joue le devenir et la qualité du futur produit. La protection contre l’oxydation est l’élément clé. Voici quelques conseils faciles à mettre en œuvre pour l’élaboration de rosé de pressurage direct :

  • Vendanger tôt le matin lorsqu’il fait frais afin de prévenir les oxydations. Limiter au minimum la trituration de la vendange. Si vous ne disposez pas de systèmes de refroidissement de la vendange, la température de récolte sera celle de la macération,
  • Sulfiter modérément au vignoble (<2g/hl dans le cas d’une vendange saine) et le plus précocement possible, dès le godet de la machine à vendanger ou dans la benne. Attention, le SO2 favorise la macération et l’extraction des composés phénoliques (anthocyanes et tannins),
  • Foulage pour permettre la libération du jus et la diffusion des anthocyanes dans le moût, et éraflage afin d’éviter l’extraction des polyphénols et des saveurs acerbes,
  • Sulfitage de la vendange (3-5g/hl dans le cas de vendange saine),
  • Phase de macération (de quelques heures ou non) dans le pressoir ou une cuve tampon après inertage à l’aide de diazote ou mieux de CO2 ou de neige carbonique,
  • Egouttage puis pressurage (pas plus de 1200 mbar) avec si possible protection du jus contre l’oxydation,
  • Enzymage dans la maie du pressoir à l’aide d’enzymes pectolytiques (1 à 2 g/hl suivant les spécialités),
  • Pompage du moût dans la cuve de débourbage préalablement inertée,
  • Refroidissement du jus à une température inférieure à 10°C pour éviter le départ en fermentation alcoolique pour débourbage statique,
  • Débourbage du moût vers la cuve de fermentation. Veillez à inerter la cuve de départ et celle de destination,
  • Le moût obtenu peut être trop propre (turbidité<50 NTU) et il peut être nécessaire de le « tacher » légèrement à l’aide des bourbes les plus fines afin d’obtenir une fermentation franche et complète des sucres,
  • Mise du moût en température à au moins 15°C avant levurage à 20 g/hl à l’aide de levure de vins blancs préférentiellement,
  • Conduite de la fermentation alcoolique entre 16-20°C,
  • Suivi régulier de la densité et de la température,
  • Sulfitage à la fin de la fermentation alcoolique à 5 g/hl car la fermentation malolactique n’est recherchée,
  • Soutirage à l’abri de l’air et gestion des sulfitages,
  • Collage à la bentonite pour éviter la casse protéique,
  • Stabilisation tartrique,
  • Filtration,
  • Mise en bouteille

Pour obtenir des rosés de qualité et aromatique et éviter les arômes herbacées et de réduction, les moûts de saignée ou de pressurage direct doivent être débourbés avant mise en fermentation. La turbidité mesurée en NTU doit être inférieure à 200.

Pour l’inertage des moûts, le CO2 contrairement à l’azote est plus lourd que l’air et possède l’avantage de former une couche protectrice au-dessus du moût. Il se dissout par contre dans le moût ou le vin. Sur moût, il est préférable d’utiliser du CO2 et sur vin du N2 ou un mélange CO2/N2 afin d’éviter l’enrichissement en CO2 ou la décarbonication. Le CO2 est par contre légèrement plus cher. En ce qui concerne l’acide ascorbique ou vitamine C, il est autorisé sur vendange comme anti-oxydant depuis peu. Il est efficace mais doit impérativement être utilisé avec le SO2, dans le cas contraire son oxydation conduit à la formation de molécules catalysant les réactions d’oxydation.

Quelles sont les variantes possibles ?

  • Le SO2 possède un effet dissolvant. Afin de gérer au mieux la macération et de ne pas extraire trop de polyphénols, on peut choisir de fractionner les apports de SO2. Par exemple 2g/hl au foulage et 2g/hl à la sortie du pressoir,
  • On peut procéder à l’enzymage de la vendange lors de la phase de macération, ce qui augmente la vitesse d’extraction et améliore la pressabilité du moût et augmente la fraction de jus de goutte,
  • La stabulation longue durée sur bourbes avant départ en fermentation alcoolique à 4°C pendant au minimum 10 jours, permet d’améliorer le potentiel aromatique de type réducteur (fruit exotique, pamplemousse…).

Comment gérer l’extraction et la couleur des vins rosés ?

La gestion de la macération et la question de la couleur d’un rosé sont décisives. La perception de la couleur par le consommateur est fondamentale dans l’acte d’achat. La couleur du moût à la fin de la période de macération est très éloignée de celle du produit fini car, ne serait-ce qu’à l’issue de la fermentation, le vin va perdre 50% de son intensité colorante. D’autres pertes en intensité surviendront lors de l’élevage et lors de la filtration. Il reste très délicat d’évaluer le temps de macération approprié qui dépend de la maturité du raisin et de la température. Sa détermination reste le plus souvent empirique. Il faut faire attention à ne pas sous-estimer la couleur, car le SO2 possède un effet décolorant réversible. Des temps de contact de 3 à 10 h à la température de 15-20°C sont en général suffisants.

Comment influer sur le profil aromatique des vins rosés ?

En fonction du choix de l’intensité du débourbage, de la souche de levure et de la température de fermentation, il est possible de faire varier la palette aromatique du rosé.

  • Avec un débourbage à 150 NTU environ + levure révélatrice de thiols (VL3, NT116) + une température de fermentation de 18°C, on va privilégier les arômes variétaux et orienter le produit vers un profil réducteur (fruit exotique, pamplemousse),
  • Avec un débourbage plus poussé à 50-100 NTU + une levure productrice d’ester (71B)en fermentant à plus basse température (16°C), on orientera le produit vers un profil fermentaire (banane, fraise, bonbon anglais..). C’est d’ailleurs, le profil le plus apprécié par les dégustateurs sur nos vins rosés d’essai.

Comment raisonner l’apport de compléments nutritifs pour les levures ?

Un moût rosé dépouillé de ses bourbes et fermentant à des températures inférieures à 20°C, est un milieu plus difficilement fermentescible qu’un moût rouge. L’enherbement est une pratique viticole qui contribue à appauvrir le moût en azote assimilable (ion ammonium, acides aminés). Il est ainsi vivement recommandé, pour assurer un bon déroulement de la fermentation alcoolique, de supplémenter le moût avec des compléments azotés. Les levures ont besoin d’azote lors de leur phase de multiplication lorsque la densité a chuté de 20 à 30 points. Un autre apport peut être réaliser à 1030. 30g/hl d’activateur de fermentation apportés en 2 fois constituent une bonne base.

Laisser quelques grammes de sucres résiduels, pourquoi pas ?

Les vins rosés possédant 4 à 6 g/l de sucres résiduels sont mieux appréciés à la dégustation que les vins secs (<2g/l). On peut ainsi choisir d’arrêter la fermentation avant la fin de la fermentation alcoolique. Dans ce cas pour arrêter la fermentation, il est préférable de refroidir la cuve à 10°C, éliminer la biomasse levurienne par soutirage et procéder au sulfitage. Pour éviter les problèmes de refermentation, il est recommandé de filtrer les vins stérilement et/ou d’utiliser du sorbate de potassium.

Comment gérer le CO2 avant la mise en bouteille des vins rosés ?

Le gaz carbonique participe au maintien de la fraîcheur et du fruité, il diminue la sensation de rondeur et renforce les saveurs astringentes ou amères des polyphénols. C’est pour ces raisons qu’il est conseillé de le suivre et de l’ajuster si nécessaire. Les valeurs couramment admises pour les vins rosés varient de 700 à 900 mg/l.

Comment raisonner l’élevage des vins rosés ?

Le vin rosé est un vin léger, fruité qui doit être dégusté dans sa jeunesse. Les élevages longs ne présentent guère d’intérêt, hormis les élevages sur lies qui peuvent renforcer le gras et la longueur des vins. Ils n’ont d’intérêt qu’après une période d’au-moins 3 mois et souvent 6 mois sur lies. D’un point de vue technique les vins rosés peuvent être mis en bouteille précocement quelques mois après les vinifications. Ils ne se bonifieront que rarement avec le temps. Les seuls obstacles : le début de la période des agréments et la période hivernale peu propice dans l’hémisphère nord à la consommation de vins rosés.