Denis Caboulet1, Thierry Dufourcq2 et Eric Serrano3
1IFV Occitanie, Pôle Languedoc Roussillon, Unité de Pech Rouge, 11430 Guissan
2IFV Occitanie, Pôle Sud-ouest, Antenne du Gers, Chateau de Mons, 32095 Caussens
3IFV Occitanie, Pôle Sud-ouest, V’innopôle, 81310 Peyrole
Il s’avère intéressant de combiner les notions d’irrigation et fertilisation dans un vignoble innovant dédié à la production de hauts rendements. Cette approche nommée ferti-irrigation (ou irrigation fertilisante ou fertigation) est une pratique permettant d’appliquer de l’engrais à la culture par le biais d’un système d’irrigation. L’eau et l’engrais sont apportés simultanément.
De l’importance de l’eau et des fertilisants dans la construction du rendement
Les facteurs eau et les fertilisants tels que l’azote, le phosphore et le potassium jouent un rôle clé dans l’établissement du rendement. L’azote a une incidence directe positive sur la croissance et le rendement, et peut aussi impacter le potentiel aromatique des raisins (une carence en azote diminue le potentiel aromatique thiols des raisins). Le potassium intervient dans la synthèse des sucres et leur migration vers les baies. Le phosphore joue un rôle essentiel dans le développement végétatif de la vigne. Il est impliqué dans le métabolisme énergétique puisque les phosphates sont capables de recevoir et de transporter l’énergie lumineuse captée par les feuilles.
Si l’irrigation et la fertilisation favorisent l’atteinte du rendement potentiel, la ferti-irrigation optimise le processus dans sa globalité. Un élément minéral ne peut être absorbé qu’en présence d’eau, la ferti-irrigation permet un apport de fertilisants directement assimilables par la plante. Cette technique offre la possibilité de fractionner les apports et de les réaliser au moment le plus opportun. Le moment et la zone à cibler sont atteints avec une plus grande précision pour corriger ou optimiser un élément donné.
De quoi se compose le matériel de fertirrigation ?
Le matériel de ferti-irrigation se compose de deux modules :
Le module irrigation comprenant :
- les goutteurs, choisis en fonction du débit souhaité. Dans le cadre d’un V.I.E, il est préférable d’installer des goutteurs autorégulants. Le réseau de goutteurs peut-être aérien ou enterré.
- un système de filtration, afin d’éviter les colmatages.
- des vannes, automatisées ou manuelles selon l’installation.
- des peignes collecteurs, afin d’éviter de colmater son réseau.
Le module fertilisation complète le système avec :
- un tank, mobile ou fixe, qui permet de mettre l’engrais en solution,
- une pompe à injection ou un injecteur Venturi, qui rendent possible la distribution de l’engrais dans le système d’irrigation,
- les engrais, sous forme soluble ou déjà liquide.
Pourquoi la qualité de l’eau est-elle importante en ferti-irrigation ?
La qualité de l’eau se définit selon des critères biotiques et abiotiques, tels que la présence d’algues qui risqueraient de colmater le circuit, la salinité de l’eau dangereuse pour le sol et la pérennité du végétal, sa dureté, son alcalinité… Il est impératif de posséder un outil filtrant (filtre à disque, à sable, à raisonner selon la surface et les besoins de la ferti-irrigation) afin d’éviter ces problématiques de colmatage, d’autant plus lorsque le réseau de fertirrigation est enterré.
Outre les solides en suspension, l’agglomération de fines particules inorganiques ou organiques avec la biomasse microbienne et les produits est un problème majeur dans les systèmes de distribution d’irrigation. Ce problème est accentué lorsque des nutriments sont ajoutés à l’eau d’irrigation car ils sont une source de nourriture pour les microorganismes présents, ce qui augmente la biomasse et les risques de précipitation et d’obstruction.
Les fondamentaux et stratégies pour optimiser la ferti-irrigation ?
Pour déclencher la ferti-irrigation au moment opportun, il faut pouvoir caractériser le statut hydrique de la vigne ainsi que son état en matière de nutrition minérale.
Il est important de connaître l’état de la plante mais également celui de son sol (état structural, état organique, état acido-basique…), en tenant compte de ses limites, notamment dans le cadre d’objectifs de production importants. Il s’agit des points clés à maîtriser avant d’engager la réflexion pour la fertilisation. Il ne faut pas perdre de vue le fait que la vigne est une plante rustique qui a peu de besoins (voir figure 1).
Exportation des raisins pour 15 T/ha
| Elements | Kg/ha |
| N | 15-20 |
| P | 4-6 |
| K | 30-40 |
| Mg | 8-10 |
Besoins pour produire
| Elements | Kg/ha |
| N | 40-70 |
| P | 4-10 |
| K | 40-80 |
| Mg | 8-15 |
Table 1 : besoins de la vigne
Il est admis que le fait de coupler les apports d’eau à de la fertilisation tout au long de l’année permet d’économiser en moyenne 30% de fertilisant en comparaison à une stratégie mixte alliant fertilisation minérale au sol et ferti-irrigation.
Parallèlement, la ferti-irrigation augmente la quantité d’azote dans les baies de raisin à la récolte de façon significative (+30 à 45%) par rapport à une fertilisation au sol.
Cependant, il ne faut jamais négliger la matière organique des sols. Utiliser la seule ferti-irrigation pour piloter l’alimentation de la plante favorise au fil du temps l’appauvrissement des sols avec un risque fort de ne plus retenir les éléments nutritifs. Il est indispensable de prévoir un programme d’enrichissement en MO de ses sols à travers la mise en place d’engrais verts et/ou d’une fertilisation organique. La matière organique est nécessaire pour rééquilibrer les sols et assurer la bonne minéralisation des éléments et leur assimilation. Un apport annuel est conseillé.
Exemple d’un programme sur sol limono-argilo sableux – Vignes adultes :
| Objectifs | Unités à apporter /ha | Démarrage de l’apport et raisonnement |
| Azote | 70 U | 3-5 feuilles étalées jusqu’à la fermeture de la grappe. Pause à la floraison (10j avant / 10j après). Apport de 10 U à chaque ferti-irrigation. 2 apports supplémentaires peuvent intervenir en encadrement de la véraison si les thiols variétaux sont recherchés (2-3 apports en mai puis 4-5 apports post-floraison). |
| Phosphore | Impasse | |
| Potassium | 70 U | Fractionner les apports avec les apports d’azote |
| Magnésium | 70 U | Un apport avant fleur + un apport post-floraison |
Table 2 : Exemple d’un programme sur sol limono-argilo sableux – Vignes adultes
L’apport de fertilisants par irrigation doit être réalisé en cours d’irrigation. Il faut toujours prévoir d’humecter le sol avant la fertilisation et d’arrêter celle-ci avant l’arrêt de l’irrigation pour permettre l’apport complet et le nettoyage des tuyaux.
Comment entretenir son système de fertirrigation ?
Un simple outil de filtration ne suffit pas à garder ses conduits en parfait état. Il est recommandé de procéder à une maintenance d’hiver, par l’acidification ou la chloration de son réseau d’irrigation. Le réseau doit être vidangé surtout si les goutteurs sont enterrés, pour éviter l’infiltration et l’obstruction du circuit par les racines. D’autre part, il est nécessaire, d’autant plus en fertirrigation, d’entretenir son réseau après chaque fertirrigation. Un rinçage abondant à l’eau claire est usuellement pratiqué pour répondre à cette demande et permet d’évacuer tous les éléments minéraux injectés dans le réseau et ainsi éviter les risques de colmatage.
Bilan : la ferti-irrigation, un outil complémentaire à raisonner
La ferti-irrigation est un outil complémentaire de gestion de la fertilisation avec plusieurs points d’intérêt : il s’agit d’un outil avantageux, particulièrement pour les régions sèches, qui permet d’améliorer l’efficience de la fertilisation grâce au pilotage de précision qu’elle offre (fractionnement des apports, moment de l’apport, apports de correction ou optimisation) et de réduire les intrants. En outre cette technique permet des apports tardifs qui peuvent être complémentaires, voire qui peuvent remplacer les apports foliaires pour optimiser le moût (dans le cadre d’une recherche de thiols variétaux).
Pour en savoir plus, contactez Denis Caboulet
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